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IV. — LE MARQUENTERRE. — LE CROTOY. — JEANNE D’ARC ET SA FAMILLE. — RUE ET LA CHAPELLE DU SAINT-ESPRIT. — LE CHAMP DE BATAILLE DE CRECY.

En face du champ de bataille de Mons et du pagus Viiiemacensis, sur la rive droite de la Somme, nous entrons dans le pagus Pontivus, qui forma au moyen âge le comté de Ponthieu, l’un des plus anciens fiefs héréditaires de la monarchie française. Au pied des dunes qui bordent le littoral jusqu’à la baie d’Authie s’étend une vaste plaine, lentement reconquise sur la mer, comme les polders de la Hollande, au moyen d’endiguemens successifs. Cette plaine, l’une des plus fertiles de la région du nord, c’est le Marquenterre, et nous engageons les agronomes qui se lamentent sur l’état de notre agriculture à la visiter au mois de juillet ; ils y trouveront, à côté de magnifiques pâturages qui peuvent rivaliser avec ceux de la vallée d’Auge, des blés gigantesques, des avoines plus hautes que ceux qui les moissonnent ; mais la mer, refoulée par une population. industrieuse, qui s’enrichissait en lui disputant son domaine, s’est vengée en ensablant le chenal de la Somme et l’un des ports de commerce les plus importans du moyen âge.

Quelques groupes de maisons entourées par le sable, un clocher massif et des barques de pêcheurs forment ce que les habitans s’obstinent à nommer la ville et le port du Crotoy. Les restes d’une vieille enceinte, sur laquelle on voyait encore, il y a quelques années, un canon au millésime de 1381, indiquent que là, comme à Saint-Valéry, la guerre a exercé ses ravages. Le Crotoy en effet a été pris, repris et brûlé vingt fois, et chaque siège a coûté bien du sang, car, après avoir franchi les remparts, il fallait s’emparer du château, que Charles l’avait fait bâtir sur le plan de la Bastille de Paris. Un douloureux souvenir se rattache à cette forteresse aujourd’hui disparue. Jeanne d’Arc y fut enfermée en 1430, et l’on voyait encore en 1657 la chambre qui lui servit de prison. Un prêtre de la cathédrale d’Amiens, maître Nicolas de Gueville, dit un vieil annaliste du Ponthieu, lui administrait le sacrement de confession et de la très sainte eucharistie, et disait beaucoup de bien de cette vertueuse et très chaste fille. Quelques dames de qualité et des bourgeoises d’Abbeville l’allaient voir comme une merveille de leur sexe. La pucelle les remerciait de leur charitable visite, et les baisait amiablement. « Que vescby un bon peuple ! disait-elle en pleurant. Pleust à Dieu, quand je fineray mes jours, que je puisse estre enterrée dans ce pays. » Hélas ! ce n’était point la terre qui attendait l’héroïne d’Orléans et de Patay, et les Anglais, après un séjour de quelques semaines, la conduisirent à Rouen pour com-