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engagé, loyer de la terre, journées de travail, labours, travail des animaux, détérioration du matériel, ce serait en un mot de faire pénétrer dans l’agriculture le système des inventaires commerciaux. L’illustre Mathieu de Dombasle a tracé le programme de cet enseignement. L’appliquera-t-on? Nous osons à peine l’espérer, car le combat qui se livre autour de l’instruction gratuite et obligatoire nous fait craindre que l’esprit de parti cette fois encore ne l’emporte sur l’esprit pratique.

Ce que nous venons de dire au sujet de l’instruction agricole, nous pouvons le dire avec bien plus de raison encore au sujet du suffrage universel appliqué dans son organisation actuelle aux conseils municipaux, aux conseils départementaux et aux élections des députés à l’assemblée nationale. Nous l’avons vu fonctionner dans le Vimeux et dans le département de la Somme, et, nous n’hésitons point à le dire, le pays est exposé aux plus graves dangers, si, tout en respectant le principe, on n’avise pas au moyen d’en réprimer les crians abus. Bouteilles de vin, tasses de café, petits verres, toutes les influences alcooliques sont mises en usage, et nous avons entendu de braves paysans dire qu’ils ne voulaient plus voter, parce que c’était le suffrage du cognac universel. Dans les élections municipales des campagnes, les braconniers, les maraudeurs, les voleurs de récoltes, qui trouvent dans les certificats d’indigence une sauvegarde contre la répression, s’unissent et cabalent pour faire arriver au conseil quelque individu taré qui les protège au besoin contre les procès-verbaux des gardes champêtres, et leur idéal est d’avoir un maire qui soit à leur niveau moral. C’est qu’en effet avec ceux-là on en est quitte pour un café, quand on fait manger par ses moutons le blé du voisin, ou qu’on va couper des fagots dans les bois. Une propagande profondément démoralisatrice, dont les funestes effets ne se font que trop sentir, s’exerce jusqu’au sein des villages les plus dévoués aux principes d’ordre et de sage liberté, et c’est surtout en vue des prochaines élections que le parti ultraradical travaille ceux qu’il y a trois ans à peine il appelait dédaigneusement les ruraux. Il compte beaucoup pour le succès sur le concours des instituteurs, et il n’est pas d’avances qu’il ne leur fasse, d’adulations qu’il ne leur prodigue. Tel est d’ailleurs l’étrange fonctionnement du suffrage universel dans les conditions présentes, que des villages très conservateurs de la Somme ont voté pour des candidats radicaux, uniquement parce qu’on leur avait fait croire que, s’ils n’étaient point nommés, l’assemblée de Versailles rétablirait la dîme et les droits féodaux, ce que quelques-uns de ces candidats eux-mêmes n’ont pas manqué de dire dans leurs professions de foi.