Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bâtimens légers pour exercer les marins dans le canal et dans la Propontide. Déjà quatre goélettes font chaque jour des évolutions navales sous les yeux du grand-seigneur. »

Ainsi renseigné, l’amiral de Rigny ne se trompa point sur les suites que pouvait avoir la révolution militaire opérée à Constantinople. « C’est un affaiblissement tout au moins momentané pour l’empire ottoman, écrivit-il au ministre. Cet empire n’a rien à mettre à la place des janissaires. Le moment semble donc marqué pour faire céder quelque chose aux Turcs. » Malheureusement sir Stratford Canning avait dû renoncer à tout espoir de faire agréer amiablement sa médiation entre les musulmans et les Grecs. « On aurait peine à se figurer, — ainsi s’exprimait M. Desages, — l’exaspération qui se manifeste ici contre M. Canning et sa nation. Dans l’opinion du peuple, l’ennemi, ce n’est plus le Russe, c’est l’Anglais. » La Russie profita habilement de ces dispositions. Les musulmans se sentaient surtout humiliés de la résistance des Grecs ; ils n’avaient aucun désir de s’engager dans une guerre étrangère. L’enthousiasme des hautes classes, si nous devons en croire les documens tout confidentiels qu’il nous a été donné de consulter, ne les avait pas longtemps aveuglées sur la difficulté de faire sortir une nouvelle hiérarchie militaire du chaos. Elles ne craignaient rien tant que quelque imprudence du sultan. « C’est un fou, disaient-elles. Il brave les Russes, les Anglais, le monde entier. Avec ses quelques milliers de pleutres, mal vêtus, mal armés, il se figure déjà pouvoir conquérir l’Europe. » Il fallait donner une leçon à ce téméraire. La main des mécontens s’en chargea. Un incendie terrible éclata dans la matinée du 31 août et dura jusqu’au 1er septembre à midi. La partie la plus belle et la plus riche de Constantinople fut détruite.

Le comte de Guilleminot arriva de Paris sur ces entrefaites. Il avait l’ordre d’exhorter la Porte à accepter les conditions russes. La convention explicative qui mettait le sceau à cette réconciliation fut signée le 7 octobre à Akermann. À dater de ce moment, les lettres de Vienne et de Berlin prirent une couleur tout à fait défavorable à l’intervention britannique. On donnait pour certain que la Russie, « satisfaite du résultat d’Akermann, au-delà même de ce qu’elle espérait, ne voulait plus désormais agir sans l’alliance. » Suivant l’expression du comte de Guilleminot, « les actions du prince de Metternich étaient en hausse. »

III.

Qu’on s’en afflige ou qu’on s’en réjouisse, il faut bien reconnaître que c’est rarement la froide raison qui mène les affaires de ce