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terreur qu’inspiraient les hommes du nord. On racontait qu’en 806 le soleil s’était levé tout noir, comme une masse de charbons éteints, — qu’on avait vu des croix se dessiner sur le disque de la lune et des cavaliers se battre dans les airs ; la peste et la famine marchaient à la suite des envahisseurs, et l’on se demande comment, après tant d’incendies et de massacres, il pouvait rester des hommes. Les guerres féodales succèdent aux invasions, et ce n’est qu’au XIIe siècle, au moment de l’affranchissement communal, qu’une vie nouvelle et plus prospère commence pour Amiens. En 1131, les habitans engagent une lutte violente contre les seigneurs qui les opprimaient ; les femmes elles-mêmes, s’arment pour conquérir la liberté. Des combats sanglans s’engagent chaque jour autour du Castillon, la forteresse féodale d’Enguerrand de Boves. Louis le Gros, qui était accouru au secours des habitans, est blessé sous ses murs ; mais sa présence et l’appui de l’évêque saint Geoffroy assurent le triomphe des vilains. Une charte d’affranchissement leur est concédée, et la commune s’organise comme une république, où les magistrats électifs, mayeur et échevins, jouissaient d’un pouvoir beaucoup plus étendu que les présidens des États-Unis ou de la troisième république française. Les milices communales et les corporations industrielles se constituent, et Philippe-Auguste favorise par de sages mesures l’essor de la ville affranchie, qui sera désormais l’une des plus fidèles alliées de la couronne.

Amiens est l’une des villes de France où le régime municipal a poussé les plus profondes racines : c’est un type complet de la ville libre du moyen âge. L’histoire de la commune a été reproduite par les textes mêmes dans les Documens inédits de l’histoire du tiers-état, c’est là qu’il faut les chercher, car nous devons marcher vite pour arriver à des événemens qui nous touchent de plus près.

Pendant le moyen âge, les Amiénois se montrèrent fort dévoués à la royauté, qui était pour eux l’incarnation vivante de la patrie. Quand elle avait besoin d’argent, ils lui ouvraient leurs bourses ; quand elle avait besoin de soldats, ils allaient se ranger sous sa bannière. Ils s’étaient illustrés à Bouvines, et s’étaient fait tuer bravement à La Blanquetaque et à Crécy ; mais au XVIe siècle ils oublièrent un moment leur vieux patriotisme. Ils avaient d’abord refusé d’adhérer à la ligue parce qu’elle s’appuyait sur l’alliance espagnole et la grande noblesse, qui espérait ressaisir à la faveur du remuement des guerres civiles les privilèges dont elle avait été dépouillée par les progrès du pouvoir royal et de la centralisation ; néanmoins, lorsque Henri III, par le plus maladroit des calculs politiques, s’en fut déclaré le chef, ils n’hésitèrent point à signer l’acte d’union, et, comme il arrive toujours dans les troubles publics, les impatiens, les violens et les ambitieux s’emparèrent du pouvoir, car le