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Jayme d’Aragon, roi de Minorque, 1 évêque, 80 bannerets, 1,200 chevaliers, sans compter la pédaille. On porte généralement le nombre des tués à 30,000, mais c’est là une évidente exagération, et c’est faire à la mort une part déjà très large que de le réduire à 10,000, d’après l’autorité même de Michel de Northburg, l’un des officiers d’Edouard. Quant aux Anglais, ils perdirent environ 1,200 hommes, parmi lesquels Paul et Hubert Byron, aïeul et oncle en ligne directe de l’auteur de Childe-Harold.

On peut maintenant, nous le pensons, se rendre un compte exact des causes qui ont amené le désastre de 1346. L’indiscipline des troupes et le défaut de commandement y sont sans doute entrés pour une bonne part, mais c’est avant tout la magnifique position des Anglais qui leur a donné la victoire. Il était matériellement impossible à la cavalerie d’escalader les rideaux, lors même qu’ils n’auraient point été palissadés, et les attaques par les pentes douces n’offraient pas plus de chances de succès, parce qu’elles étaient obstruées par des abatis et des chariots. Les chevaliers français avaient d’ailleurs à combattre avec des armes de main contre des armes de jet à tir rapide, et les archers anglais pouvaient lancer à 200 mètres de 5 à 6 flèches par minute et viser juste, car ils n’étaient point gênés comme aujourd’hui par la fumée de la poudre. Crécy fut donc bien moins une bataille qu’un assaut livré par des chevaux fourbus et des fantassins dont la plupart n’avaient que des bâtons ferrés et de mauvais coutelas à des retranchemens où le canon seul aurait pu faire une trouée.

Les noms de diverses pièces de terre, tels que le marché à carognes, c’est-à-dire la place où l’on marche sur des cadavres, indiquent encore les endroits où le carnage fut le plus terrible. Le matin, quand les champs sont couverts de rosée, on reconnaît de loin les vastes fosses où furent jetées les victimes de cette fatale journée, car la terre y reste plus longtemps humide que dans les sillons voisins. En foulant ces champs funèbres où dorment tant de morts oubliés, nous songions à ces autres champs de bataille arrosés d’un sang fraîchement répandu que nous allons rencontrer bientôt sur la vieille terre picarde, Longpré, Villers-Bretonneux, Dury, Boves, Pont-Noyelles, et nous nous sommes demandé si Dieu, pour être grand, a besoin d’hécatombes humaines.


CHARLES LOUANDRE.