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l’adresse, mais elle envoya André Dumont, qui fut plus tard sous-préfet sous l’empire, et l’ex-capucin Chabot, déclarer Amiens en état de rébellion, avec ordre de prendre des mesures sévères. Dumont, qui ne se fiait pas à la population qu’il était chargé de terroriser, montra par prudence une certaine modération, mais Chabot voulut faire oublier qu’il avait porté le cordon de Saint-François, Il avait l’année précédente publié le Catéchisme des sans-culottes, et il s’empressa d’en mettre les maximes en pratique. C’était un petit homme trapu, d’un aspect sinistre, qui affectait dans toute sa personne une malpropreté repoussante, pour faire la leçon aux muscadins et aux aristocrates. Il entra dans Amiens en veste et en pantalon de nankin, un énorme bonnet de laine rouge sur la tête, des pistolets à la ceinture, les jambes nues et les manches retroussées, comme un boucher qui va saigner un bœuf. Le lendemain de son arrivée, il convoqua le peuple à une conférence patriotique dans le temple de la superstition, c’est-à-dire dans la cathédrale ; là un verre d’une main, et de l’autre un pot rempli de vin, il monta dans la chaire et prononça un discours extravagant, interrompu par de copieuses libations. Les assistans regardaient avec surprise et dégoût ce personnage à la fois grotesque et sombre, dont l’éloquence avinée insultait la majesté d’un sanctuaire tout rempli de grands souvenirs. De violens murmures étouffèrent sa voix, et il descendit de la chaire en menaçant l’auditoire de la guillotine. Ordre fut donné à la garde nationale de déposer ses armes, mais aussitôt le rappel fut battu dans toute la ville, et au moment même où Chabot pérorait à cheval sur l’une des places publiques, il se vit entouré par 4,000 hommes qui l’enfermèrent dans un cercle de baïonnettes. Le 26e régiment de cavaliers, celui-là même qui avait conduit Louis XVI à l’échafaud, essaya vainement de le dégager : le terrible proconsul, tout à l’heure si menaçant, fut forcé de demander grâce ; il n’obtint sa liberté qu’en laissant sa femme en otage, et quelques jours après il partait pour Paris, où il devait bientôt payer de sa tête les marchés frauduleux qu’il avait conclus au détriment de l’état. La convention lui donna pour successeur Joseph Le Bon, et le souvenir de l’échec académique éprouvé à Amiens par Robespierre ne fut pas étranger au choix de ce personnage, qui avait été d’église comme Chabot, et qu’on savait disposé comme lui à se faire pardonner sa première profession par d’implacables rigueurs.

La plupart des historiens de la révolution, ceux du moins qui ont écrit de notre temps même, représentent Le Bon comme un homme « d’un caractère très doux, » plein de bienveillance dans l’intimité, affectueux pour sa famille, et « qui eût laissé dans des temps calmes la réputation d’un homme de bien. » Il se montra en