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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/694

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Galitzine, « le grand Galitzine, » comme l’appellent certains historiens désireux de l’opposer à Pierre le Grand, de même que chez nous on a voulu exalter le duc de Guise aux dépens de Henri IV. La correspondance de Sophie avec le prince était d’une tendresse mystique ; elle l’appelait « mon petit père, mon frère, ma lumière, ma joie. » Galitzine et Sophie voulurent justifier leur pouvoir par des succès diplomatiques et militaires. Ils entrèrent dans la grande coalition de Venise, de la Pologne et de l’Autriche contre le Turc, et le prince dirigea deux campagnes contre les Tatars de Crimée. Malgré les efforts du gouvernement pour les représenter comme des triomphes, elles n’eurent qu’un médiocre succès. Aussi dans une de nos chansons le prince Galitzine ne sait littéralement sur quel pied et par quel chemin rentrer à Moscou. Il est sûr de l’accueil de Sophie, mais comment sera-t-il reçu du jeune souverain ?


« Comme une bécasse qui se promène sur le marais[1], — le prince Galitzine se promène dans la prairie. — Il se promène non pas seul, mais avec des soldats de toutes armes, — avec des cosaques du Don, avec des chasseurs. — Il réfléchit et médite profondément. — Par où le prince, par où doit-il marcher ? — Par la vaste plaine, le prince ? il y aura de la poussière. — Par le bois ombreux, le prince ? il fera sombre. — Par la prairie, le prince ? la terre est détrempée. — Par la rue, le prince ? il aurait honte. — Enfin le prince a chevauché par la rue de Tver, — la glorieuse rue de Tver et la Nouvelle-Slobode.

« Le prince Galitzine s’est rendu — à la cathédrale de Kazan ; — le prince Galitzine a ôté — sa toque de zibeline ; — le prince Galitzine trois fois — s’est prosterné sur la terre ; — le prince Galitzine a prié, — et se rend au palais du Kremlin.

« Lorsqu’il descend de cheval — dans le palais du Kremlin, — voici que vient à sa rencontre — notre mère la tsarévna, — la tsarévna Sophie Alexiévna. »


Sophie en effet, autant pour satisfaire à ses propres sentimens que pour en imposer à l’opinion, préparait un triomphe à son héros. Elle sortit en procession au-devant de l’armée, accompagnée du clergé, des boïars et du peuple, précédée des saintes icônes, jusqu’à la porte de Serpoukhof. Après avoir admis les généraux au baise-main, elle revint avec eux, toujours en procession, jusqu’au Kremlin, où le tsar Ivan leur fit une réception solennelle. Le tsar Pierre n’y était plus. Il avait défendu à sa sœur de prendre part à une cérémonie publique, elle avait bravé sa défense. Dans sa colère,

  1. Homère a bien comparé Ajax à un âne !