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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/729

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vrai, une situation chargée de bien des difficultés et de bien des problèmes qui ne sont qu’ajournés, qu’on retrouvera fatalement après ces trois mois de repos, de trêve et de réflexion.

Oui assurément, le message du maréchal de Mac-Mahon exprime une vérité sensible et frappante : le pays est tranquille, rien n’est plus facile que de le maintenir tranquille. Malgré les inquiétudes assez naturelles dont il ne peut se défendre lorsqu’il se demande de temps à autre ce qui sortira d’une incertitude prolongée dans le provisoire, c’est pour ainsi dire son penchant fondamental, son goût, comme c’est son intérêt de tenir passionnément à la paix, à la paix intérieure aussi bien qu’à la paix extérieure, de répugner aux excitations, aux tiraillemens, aux prétentions agitatrices, et c’est là ce que les partis, les gouvernemens eux-mêmes ne voient pas toujours. Ils se figurent que, parce qu’ils parlent naïvement ou présomptueusement au nom du pays, le pays s’intéresse beaucoup à leurs querelles, qu’il est prêt à venger leurs griefs, à prendre feu pour la droite ou pour la gauche, pour la république ou pour la monarchie, pour le gouvernement du 24 mai ou pour le gouvernement qui existait avant le 24 mai. C’est une erreur singulière. Au fond, le pays a passé par tant d’épreuves, il a essuyé tant de déceptions, qu’il est devenu assez sceptique ou, si l’on veut, assez éclectique pour prendre son bien où il le trouvera, pour accepter l’ordre, la sécurité, la paix de ceux qui pourront lui donner ces garanties. La meilleure politique sera celle qui tiendra compte de cette situation morale de notre malheureuse patrie, qui saura gouverner la France non sans fermeté, mais avec précaution, avec un discernement impartial, sans violence et surtout sans prétendre lui imposer des solutions extrêmes ou même des fanatismes qui répugneraient à tous ses instincts comme à ses idées.

Qu’on réfléchisse une bonne fois à tout ce qui est arrivé depuis quelques années, et on comprendra comment tous ceux qui ont une part dans les affaires publiques doivent se créer de nouvelles habitudes d’action. Est-ce qu’on croit qu’on va mener la France d’aujourd’hui, cette France éprouvée, endolorie, très vivante encore cependant, avec des subtilités et des tactiques, avec des interpellations et des fantaisies d’initiative personnelle, avec des coalitions plus ou moins sûres, plus ou moins péniblement maintenues ? Avec tout cela, on arrive juste à ces confusions, à ces agitations assez factices qui ont signalé les dernières semaines de la session, où majorité et opposition se sont livré, sans péril et sans profit, des batailles plus bruyantes que décisives à propos de mesures qui n’étaient pas de l’urgence la plus caractérisée ou d’interpellations qui n’étaient pas d’un suprême intérêt. Le fait est que de part et d’autre on s’est passé des fantaisies, que l’opposition aurait pu se dispenser d’engager des luttes où elle était sûre d’aller au-devant d’une défaite, et que le gouvernement à son tour n’aurait rien perdu à éviter