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raux qui auront réussi à refaire un vrai noyau militaire, qui auront obtenu quelques succès, deviendront inévitablement les chefs naturels de l’immense réaction qui éclatera au-delà des Pyrénées. Est-ce qu’on croit la république espagnole bien en sûreté dans ces conditions ? Elle est fort menacée, si elle est sauvée par un soldat ; elle est bien plus menacée encore, si elle reste aux prises avec ceux qui la souillent et la déshonorent par l’incendie et le meurtre. Si les vrais républicains de Madrid ne consultaient que leur patriotisme, ils n’hésiteraient pas un instant à rallier toutes les forces conservatrices et libérales, à rétablir la monarchie constitutionnelle, qu’ils se feraient un devoir de soutenir, qui seule peut-être encore à l’aide d’un effort désespéré pourrait sauver l’Espagne de la dissolution par le socialisme fédéraliste, ou d’un autre genre de déchéance par l’absolutisme carliste.

CH. DE MAZADE.


Comédie-Française. — Chez l’avocat, par M. Paul Ferrier.

Comme les traits trop fins et les nuances trop délicates ne conviennent pas à la peinture décorative, qui exige les couleurs franches et les solides contours de la fresque, ainsi au théâtre il faut pour le dialogue et le récit une trame plus résistante, plus tangible en quelque sorte, que lorsqu’on écrit pour être lu. Pour émouvoir ou pour faire rire, il ne faut point compter sur la réflexion, car le spectateur n’a pas le temps d’analyser ; les mots subtils ne portent pas, les raffinemens de pensée échappent, et c’est un maigre succès que l’émotion de l’escalier. C’est par là, par l’absence de vigueur scénique, que pèchent la plupart de ces bluettes versifiées, proverbes ou saynètes, qui se succèdent depuis quelque temps, et l’acte en vers que M. Paul Ferrier vient de donner au Théâtre-Français n’est pas exempt des mêmes défauts. Sa pièce n’est même pas une pièce. Cela ne repose sur rien, et c’est fini avant d’avoir commencé, ou plutôt cela ne finit même pas, car on sent que c’est à recommencer. Deux jeunes époux que la politique a désunis, — supposition peu vraisemblable, — se rencontrent chez l’avocat qu’ils ont choisi pour dénouer des liens qui les blessent et leur pèsent. Avant l’arrivée de l’homme de loi, la querelle éclate et se termine par un soufflet sur la joue du mari. L’avocat les fait asseoir, les écoute sans parler, et de la querelle il se dégage une réconciliation comme l’arc-en-ciel après l’orage. Les époux s’en vont bras-dessus, bras-dessous ; mais l’avocat, qui s’y connaît, leur dit : Au revoir ! Pour tirer une pièce d’une si pauvre donnée, il eût fallu au moins des détails un peu neufs, et pour la soutenir un dialogue brillant ; mais un malheur ne vient jamais seul ! M. Paul Ferrier s’est laissé glisser sans effort sur la pente de la banalité, et les vulgarités cherchées de sa diction choquent un public que la scène de la Comédie-Française a si longtemps habitué à un autre lan-