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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/741

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guage. Il a écrit sa saynète en vers libres, — tentative dangereuse pour un tempérament comme le sien, car il y a dans ce vers fringant et badin une sorte d’irrésistible séduction vers la nonchalance prosaïque et la familiarité, et M. Paul Ferrier a donné dans le piège.




ESSAIS ET NOTICES.


The Poems of Ossian in the original gaelic with a literal translation into english, by the Rev. Archibald Clerk (Les Poésies d’Ossian, texte gaélique, avec une traduction littérale en anglais), 3 vol. ; Edinburgh and London.


Un instituteur écossais, enseignant d’abord dans une école publique, écrit un poème dont l’unique résultat est de prouver chez lui autant d’incapacité que d’ambition. Il fait la connaissance d’un homme de lettres auquel il montre des traductions vraies ou prétendues de chants gaéliques recueillis par les highlanders ou gens des montagnes. C’était précisément le temps où la curiosité publique se tournait vers les vieilles ballades anglaises ; le moment était bien choisi pour exhumer les poésies inconnues qui donnaient à l’Écosse l’avantage de l’ancienneté sur l’Angleterre. Huit ou dix siècles d’avance dans la carrière des vers flattaient singulièrement l’amour-propre national, toujours en éveil au nord de la Clyde. L’Écossais qui avait si mal réussi dans la langue que parlait tout le monde fit des tentatives plus heureuses dans un idiome que les personnes lettrées ne comprenaient pas. Il sacrifie son amour-propre à son ambition, et, n’ayant pas réussi comme poète, il se fait traducteur, en apparence au moins. Cette fois les encouragemens viennent de tous côtés. Un premier recueil de chants traduits en prose anglaise devient l’objet de l’admiration en Écosse, de l’étonnement en Angleterre.

On achète à l’envi les traductions sorties de cette plume équivoque dont le premier soin a toujours été de s’entourer de mystère. Cependant les simples chants, les opuscules ne suffisent plus : l’Écossais bien avisé apporte de ce pays une épopée, deux épopées ; elles se vendent coup sur coup, les éditions en sont enlevées, il se met à bâtir l’édifice de sa fortune, en attendant qu’il construise un vrai château, une villa italienne, et qu’il fonde une famille dont la prospérité ne s’est pas démentie depuis. Jamais l’esprit positif et pratique de l’Écossais n’a mieux tiré parti d’une affaire. Et tout cela ne portait que sur des vers en une langue qui n’était guère parlée que par des pêcheurs et des bergers ne sachant pas lire : encore n’était-il pas bien sûr qu’ils existassent. Le traducteur prétendait les avoir recueillis, les uns de la bouche de quelques vieillards, les autres dans des manuscrits très anciens, qu’il a montrés, dit-on, à un ou deux amis et à son libraire de Londres, qui d’ailleurs n’y entendait goutte. Un trait qui n’est pas le moins curieux