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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/751

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naturelles, elle ne diffère pas moins de l’Asie historique que de l’Europe proprement dite, et ce n’est point par un pur accident que les civilisations asiatiques ont échoué dans leur établissement chez elle. Des deux côtés de l’Oural, la Russie forme à elle seule une région particulière, avec des caractères physiques spéciaux, région embrassant toutes les plaines septentrionales de l’ancien continent, descendant trop au sud pour qu’on l’appelle boréale, mais qu’on peut nommer région russe, et qui du centre de l’Asie au pôle comprend toute la dépression colossale du nord du vieux monde, la Basse-Europe et la Basse-Asie de Humboldt. Plutôt qu’à la vieille Asie ou à l’Europe occidentale, c’est à l’Amérique du Nord, à l’Amérique, qu’elle va joindre par la Sibérie, que pour la nature et toutes les conditions physiques il convient de comparer la Russie. Avec son climat excessif et ses immenses espaces, elle était de ces terres trop âpres, de ces régions construites sur un plan trop large pour être le berceau de la civilisation. Impropre à en nourrir les premiers jours, elle est de ces pays admirablement disposés pour la recevoir et la faire grandir. Comme l’Amérique du Nord, comme l’Australie, la Russie, en dehors de ses parties extrêmes, offre à l’Europe un sol assimilable, un champ où l’activité humaine peut se déployer sur une plus large échelle, et de fait elle est l’aile orientale de notre civilisation, comme l’Amérique en est l’aile occidentale, et, faisant le tour de notre hémisphère, toutes deux iront un jour se donner la main par-dessus l’Asie.

Avec son ciel inclément, avec ses maigres forêts et ses steppes déboisées, la Russie peut sembler une chétive demeure pour la culture européenne. La terre et le ciel y promettent peu ; mais ce qu’il faut à l’homme, c’est moins la richesse spontanée du sol que la facilité de s’en rendre maître, de le plier à ses besoins et pour ainsi dire de le domestiquer. Bien des contrées plus belles dans les deux hémisphères offrent à la civilisation un champ moins fécond. Il y a dans le Nouveau-Monde un empire auquel les forêts et les savanes de l’Amérique du Sud offrent une carrière presque aussi vaste, aussi indéfinie que celles de la Russie. Sa position tropicale, ses fleuves, les plus grands du globe, l’humidité que lui apportent les vents alizés, y donnent à la végétation et à la vie sous toutes ses formes une vigueur incomparable. La flore et la faune y ont une variété sans borne, une puissance indestructible ; mais cette fécondité même de la nature est hostile à l’homme, qui ne sait comment la dompter. Herbes et forêts, animaux féroces et insectes lui disputent également le sol du Brésil. La nature est trop riche, trop indépendante, pour se laisser aisément réduire au rôle de servante, et alors même qu’ainsi que dans l’Inde l’homme se sera emparé