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fatalement vouées à l’unité politique que des contrées douze ou quinze fois plus petites, comme la France ou l’Italie ; bien plus, la plaine y devait rendre l’unification plus aisée et plus rapide. A cet égard, la Russie a l’avantage sur l’autre colosse du monde moderne ; dans l’aplatissement général de son sol, dans l’homogénéité relative de son climat, elle a de plus solides garanties d’unité que les États-Unis d’Amérique, dont le sud et le nord sont, eux aussi, fortement reliés par un grand fleuve, mais où les contrastes de tout genre sont plus prononcés, et pourraient être encore augmentés par des acquisitions de territoire au nord et au midi. En Asie comme en Europe, c’est la nature qui a préparé le champ aurègne de la Russie. Des hauts plateaux de l’Oural, elle domine les plaines de la Sibérie, des bas plateaux du Don et du Volga, la dépression Caspienne et l’Asie centrale. La Russie d’Asie, la Sibérie et même le Turkestan, ne sont point pour la Russie des colonies exotiques, impossibles à assimiler, difficiles à conserver ; l’un et l’autre sont un prolongement, une dépendance naturelle de ses territoires européens. Loin de ressembler aux constructions éphémères des conquérans asiatiques, l’empire russe est un édifice solide dont la Providence même a posé les fondemens. Ses limites définitives peuvent être incertaines vers l’ouest, au point de contact avec l’Europe occidentale, là où l’histoire a créé des forces vivaces indépendantes des conditions physiques ; mais qu’elle perde ou gagne quelques provinces entre la Baltique et les Karpathes, la Russie est assurée de demeurer une dans son ensemble, dans ses deux grandes zones du nord et du sud, assurée de garder l’empire de la région basse et froide du vieux continent, immense région faite pour l’unité, mais en même temps pour la centralisation et par suite peut-être pour l’autocratie, pour le pouvoir absolu.

La nature avant Pierre le Grand a marqué la place de l’empire russe : quand et comment ce cadre immense sera-t-il rempli ? Par combien de centaines de millions se compteront ses habitans ? Quelle sera la population de cet état, le plus vaste du globe, et dans la plus grande partie de ses territoires encore l’un des moins peuplés ? C’est là une grande, une difficile question ; mais, s’il paraît téméraire de la prétendre résoudre, il est impossible de ne se la point poser. En face de ces immenses espaces, l’imagination se demande involontairement quel est le nombre d’hommes qu’ils peuvent, qu’ils doivent un jour, contenir. Le politique se fait malgré lui la même question, et il est obligé de tenter d’y répondre. Autrement il lui faut renoncer à se faire aucune idée de l’avenir et des destinées plus ou moins prochaines de la Russie. Avec une population en proportion de celle des îles britanniques, la Russie