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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/768

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complètent et qu’on ne saurait isoler. Pour premier lien elles ont le sol, la plaine, qui entre elles ne laisse aucune barrière, aucune frontière possible ; pour second lien, elles ont le climat, l’hiver, qui presque chaque année les confond pendant de longues semaines sous le même manteau de neige. Au mois de janvier, on peut aller en traîneau d’Archangel ou de Pétersbourg à Astrakan. L’absence de neige est pour le sud de la Russie une calamité presque aussi grande, presque aussi rare que pour le nord. Dans les steppes du midi comme dans les forêts voisines du cercle polaire, les fleuves demeurent plusieurs mois enchaînés par la glace. La mer d’Azof gèle comme la Mer-Blanche, la moitié septentrionale de la Caspienne comme le golfe de Finlande. La Mer-Noire est la seule des mers de la Russie d’Europe dont la glace ne ferme les ports que dans les années exceptionnellement rigoureuses ; mais les larges embouchures de ses grands fleuves se prennent presque régulièrement. D’ordinaire la navigation n’est point interrompue ; mais au souffle du vent du nord, sur les côtes de la Crimée comme sur celles du Canada, les bateaux ont parfois leurs agrès durcis par la glace et leur carène couverte d’une croûte congelée, qui les alourdit et les met en danger.

Sans montagnes pour les séparer, les forêts et les steppes des deux zones sont réunies par leurs fleuves. Les plus grands ont leur source dans l’une, leur embouchure dans l’autre. Les différentes régions physiques de la Russie ne correspondent point à ses bassins : celui de la Mer-Arctique ne possède que l’extrême nord, celui de la Baltique que les contrées de l’ouest ; tout le centre et l’est de l’empire inclinent vers le sud par le Dnieper, le Don, et surtout par le Volga, le Mississipi russe, qui porte à la Caspienne les eaux des forêts du nord de l’Oural avec celles des lacs du sud de Novgorod. Ce n’est pas seulement ce qu’elles ont en commun, ce sont leurs dissemblances mêmes qui lient les deux grandes zones de la Russie. Plus leur sol, plus leurs produits diffèrent, plus exclusive est la vocation qu’elles semblent avoir reçue de la nature, et plus chacune est obligée de recourir à l’autre. Seul le centre de la Russie, où les forêts et les champs se touchent et se mêlent (l’ancien grand-duché de Moscou), pourrait se suffire à lui-même. Le nord et le sud ne le peuvent. Il faut au nord les blés du sud, au sud les bois du nord. Ils se tiennent dans une mutuelle dépendance qui, en dépit de tous leurs contrastes et par leurs contrastes mêmes, assure éternellement leur union. Si la nature a jamais tracé les contours d’un empire, c’est en Russie, de la Baltique à l’Oural, de l’Océan-Arctique à la Caspienne et à la Mer-Noire. Le cadre était nettement marqué, l’histoire n’a eu qu’à le remplir. Ces vastes régions étaient aussi