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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/789

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l’empire, et qu’il y eût, soit au sein du parlement, soit au dehors, un organe quelconque du droit des souverains. Les notables ont décidé que la nation allemande, par les votes de ses représentans, réglerait seule les conditions du futur empire. Bunsen sait tout cela ; qu’importe ? il n’a aucun doute, aucune crainte ? l’assemblée qui va se réunir à Francfort le 18 mai procédera aussi sagement que hardiment, il en est sûr, à la constitution de l’unité germanique. La grande œuvre est commencée, rien ne l’arrêtera plus ; mais c’est lui-même qu’il faut entendre. Il a communiqué à M. Henri Reeve un plan de constitution rédigé par un comité de la réunion des notables, et qui va être soumis au parlement de Francfort. M. Reeve a fait des objections. Voici la réponse de M. de Bunsen :


« Samedi matin, 6 mai 1848.

« Vous avez examiné avec votre esprit, avec votre cœur, ce plan de constitution et le grand sujet auquel il se rapporte. Vous les avez appréciés l’un et l’autre dans leur importance historique. A l’un et à l’autre vous rendez justice, — mais vous n’avez pas changé de sentiment quant au fond, vous n’avez pas foi dans notre avenir !

« Ce qui vous arrête, ce sont avant tout vos principes sévèrement conservateurs, lesquels ne vous permettent pas d’accepter l’origine de ce mouvement général vers l’unité. Vous le dites en très beaux termes : « tout ce qui produit la vie vient d’en haut ; il n’y a que les fantômes d’Endor qui viennent d’en bas. »

« Permettez-moi de m’emparer de cette pensée afin de vous convaincre que notre liberté est née en bon lieu ; elle vient de l’esprit, descendit cœlo. — N’est-ce pas dans les hauteurs qu’elle a commencé de vivre, chez les grands penseurs qui, de Lessing, de Kant à Schelling et Hegel, combattant le matérialisme du dernier siècle et le méchanisme du nôtre, ont démontré la réalité, la vitalité propre de la raison ainsi que la vitalité propre de la conscience morale, et par là ont enthousiasmé la nation pour la liberté vraie ? Est-ce que la poésie et l’art ont suivi un autre chemin ? D’où vient l’importance de Goethe dans l’histoire du monde, sinon de ce qu’il a clairement vu ces vérités et leur a donné une forme avec les ressources de l’art ? D’où vient le charme indestructible des poésies de Schiller, sinon de ce qu’il a chanté des hymnes à cette philosophie ? J’arrive maintenant aux jours de notre profond abaissement et de notre relèvement sublime, de 1807 à 1813. Ce qui veut vivre aujourd’hui, ce qui est destiné à vivre, ce qui doit nécessairement vivre, a été enfanté alors dans les larmes, dans le désespoir, dans le sang, dans la prière, — mais aussi dans la foi à cet idéal, car c’est en le saluant et en le pratiquant que s’est constituée la conscience de la patrie, la conscience d’une nation libre. Elles sont vraiment prophétiques, ces deux