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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/790

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poésies de Schenkendorf, l’une de 1813 : « La liberté dont j’ai l’idée… ; » l’autre de 1814 : « O peuple ! ta joie est un signe ! .. » Et Arndt, avec ses strophes grandioses à la patrie ? Et Koerner avec son chant de mort ? Et Rückert, avec ses sonnets cuirassés ? Les étrangers peuvent ne voir là que de la poésie ; pour nous qui nous sommes liés alors par le serment des âmes jeunes, c’était chose sérieuse et sainte sans nulle exagération, c’était l’expression précise de notre cœur et de notre esprit. Nous y restâmes fidèles. Nous fîmes prononcer le même serment à nos fils ; puis, pendant vingt-cinq ans, courbés sous de lourdes chaînes, voyant toute voix étouffée, même celle des poètes, nous avons cherché un refuge dans le sanctuaire de la science, — non pas pour monter dans l’empyrée comme nos pères, pour y vivre de contemplations et nous bercer dans le libre éther des cieux, mais pour en rapporter au profit de la vie humaine les biens d’en haut que les voyans ont contemplés, ceux que Scharnhorst, et Stein, et Niebuhr, et Humboldt, ont poursuivis. Alors des hommes de foi, en dépit des persécutions, enseignaient à la jeunesse que la liberté seule est ancienne, tandis que le despotisme est nouveau, et qu’à elle seule appartient ce terrain du droit que des hommes d’état insensés et hypocrites voudraient exploiter contre elle. Alors l’empirisme anglais, l’abstraction française, l’imitation affaiblie de l’un et de l’autre dans nos constitutions de l’Allemagne du midi, tous ces systèmes furent confrontés avec la théorie comme avec l’histoire, et un point de vue plus élevé fut atteint au profit de tous. C’est ainsi que nous trouva l’année 1840. Les espérances qu’elle fit concevoir ne se réalisèrent point. Le roi et le peuple (selon la belle expression de M. de Beckerath en 1844) ne parlaient pas la même langue, ne vivaient pas dans le même siècle. La route s’assombrit, il y eut des éclairs, des coups de tonnerre, un orage ; l’ancien régime avait disparu. Il y a de cela soixante-dix jours, nous vivons cependant, et le projet de constitution était prêt bien avant que ces soixante-dix jours fussent écoulés.

« Descendit cœlo. Si jamais mouvement populaire mentionné par l’histoire a mérité qu’on lui applique ces paroles, assurément c’est le nôtre. Comme tout ce qui est divin sur la terre, il a dû subir des humiliations : des vauriens l’ont traîné dans la boue, des fous l’ont affublé des grelots de la folie, des enfans l’ont conduit à l’école. Il a échappé aux vauriens, aux fous et aux enfans. En véritable fils du ciel, il s’est frayé sa route à travers les vagues écumantes ; soutenu par la force de l’esprit, il a dégagé ses pieds du limon, et il a conquis, il s’est assuré le solide terrain du droit, — juste prix de ses quarante années de marches errantes dans le désert, — et cela au milieu des hésitations des princes, des clameurs des peuples, de l’ironie de la France, de l’incrédulité de l’Angleterre, pendant que l’émeute était dans nos rues et l’anarchie à nos portes. Descendit cœlo !