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Bunsen lui-même, si favorable à l’assemblée de Francfort quand il juge les choses de loin, est tout disposé à dire : « Francfort se trompe, » dès qu’il écrit de Berlin à sa femme et à ses amis d’Angleterre. Il est très naturel d’ailleurs qu’il adresse à M. d’Auerswald, président du conseil des ministres en Prusse, une déclaration ainsi conçue : « Les journaux continuent à parler de mon entrée prochaine dans le ministère de l’empire. Puisqu’il y a un conflit entre Francfort et Berlin, je sais quel est mon devoir ; je ne me séparerai jamais de la Prusse. »

Ce n’est là pourtant que le premier cri de Bunsen au moment où il vient d’arriver à Berlin. Il ne tardera pas à voir que ce sentiment du particularisme prussien, éveillé par les maladresses des législateurs de Francfort, est exploité par les conseillers absolutistes de Frédéric-Guillaume IV. Depuis la révolution du 18 mars, le gouvernement de la Prusse était devenu par la force des choses un gouvernement constitutionnel. Au lieu de se prêter résolument au rôle qu’il avait accepté dans des circonstances si solennelles, Frédéric-Guillaume écoutait d’une oreille complaisante les hommes qui lui reprochaient d’avoir faibli devant l’émeute. Il semblait guetter l’instant de reprendre ce qui était gagné. De là toutes ces agitations de la Prusse dans cette période confuse. Les démocrates étaient pleins de défiance ; les partisans de l’ancien régime accusaient le roi de trahison. Quant au roi, hésitant, indécis, il était irrité par ses indécisions mêmes. Les jours où il pouvait s’épancher avec un ami et laisser voir le fond de son âme, la fièvre qui dévorait son esprit offrait un spectacle navrant. C’est ce qui arriva un soir à Sans-Souci, le 2 août, dans une conversation intime avec Bunsen. « Les démocrates, disait Frédéric-Guillaume, veulent la souveraineté du peuple, c’est-à-dire la république. Aucune puissance humaine ne m’obligera d’y consentir. Si on en vient là je tirerai mon épée. Les aristocrates, les hommes que je considérais comme les soutiens du trône, oui, ces mêmes hommes qui parlent ici de légitimité ont prononcé ailleurs le mot de déchéance. On veut des deux côtés m’enlever l’armée et le peuple. » Puis, comparant son ministère d’alors, ministère libéral, constitutionnel, mais choisi librement dans les régions sereines, au ministère que la nécessité brutale lui avait imposé après les événemens de mars, le roi ajoute : « Avec mes ministres d’aujourd’hui, je suis aux anges ; ils me traitent convenablement. Les autres m’offraient leur démission toutes les fois que je ne leur cédais pas. Arnim m’a maltraité. Je lui ai adressé des douzaines de lettres auxquelles il n’a pas répondu, et finalement il faisait tout le contraire de ce que je lui recommandais. C’est à lui que j’attribue le 21 mars, qui m’a fait tant de