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déclarer que sur la question principale il ne pouvait en aucune façon se mettre d’accord avec moi, et qu’il allait tout faire pour m’amener à son avis. Alors il me tint un discours rempli de paroles enthousiastes sur son devoir de résister à la révolution, et en même temps sur son désir de satisfaire la nation, à propos de quoi il mentionna M. de Gagern, rappelant les heures qu’il avait passées dans sa compagnie avec un mélange d’admiration et d’horreur. Aussi souvent que l’occasion me le permit, j’opposais au langage du roi mes observations. A la fin, le roi éclata ; il eut une violente explosion, non pas contre moi, — il ne cessa de me traiter comme un ami toujours cher, quoique bien égaré, bien aveugle, — mais contre tout le mouvement de 1848 en Prusse et à Francfort.

« Je me décidai alors à lui parler plus sérieusement que jamais, je résolus de m’adresser à sa conscience autant qu’à son intelligence. Dès les premiers mots, la voix me manqua, les larmes m’empêchaient de parler, il me fallut quelques minutes pour me remettre ; enfin je m’exprimai à peu près en ces termes :

« Votre majesté a été placée par Dieu entre le peuple et les princes d’Allemagne. Vous le reconnaissez vous-même aujourd’hui ; mais précisément parce que vous parlez et jugez au nom de Dieu, vous êtes tenu de peser tout dans une juste balance. C’est là ce que vous ne faites point. Vous oubliez toutes les iniquités des gouvernemens, vous oubliez tous les péchés d’omission ou de commission dont les princes se sont rendus coupables dans la période effroyable qui a suivi la grande guerre (in jener furchtbaren Zeit nach dem grossm Kriege). Vous fermez votre cœur à la voix, aux gémissemens, aux lamentations, aux cris de désespoir du peuple, non pas seulement de votre peuple : je ne parle pas de la Prusse ; je parle de l’Allemagne. Aucun prince, pas même vous, pas même l’assemblée des princes, aucun prince n’est le maître de l’Allemagne en tant que nation. L’Allemagne a le droit de vouloir redevenir une nation, et par conséquent d’établir au-dessus d’elle, comme au-dessus des princes, dans la sphère de la fédération, un souverain, quel qu’en soit le titre, empereur, roi ou tout autre, comme on voudra. Vous méconnaissez ce droit ; vous méconnaissez en outre la ferme volonté des plus nobles citoyens de déjouer les intrigues de l’Autriche et de la Bavière, de combattre les dispositions hostiles de tous les autres rois, de ne pas se reposer un instant jusqu’à ce que l’unité de l’Allemagne soit fondée. Vous oubliez que le parlement a dirigé ce mouvement dans les voies constitutionnelles, qu’il a été en somme un élément conservateur, que la constitution sortie de ses débats et de ses votes est, dans les points essentiels, la constitution nécessaire au pays. C’est mon devoir, un devoir pénible, d’adresser ces avertissemens à votre majesté. »