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Frédéric-Guillaume IV, et il affirme que le souvenir de cette foi domestique se réveille dans l’âme de Guillaume Ier. A l’entendre, c’est une transformation qui se déclare. Les plaintes des catholiques troublent la conscience du victorieux ; il ne peut se résigner à devenir l’oppresseur des libertés religieuses pour complaire au grand-chancelier. Ce ne sont pas d’ailleurs les catholiques seuls qui s’indignent de la violation de leurs droits ; l’église évangélique de Prusse, les églises protestantes de toute l’Allemagne, se sentent menacées par ces tentatives de césaro-papisme, comme disent nos voisins. Dans les rangs supérieurs de la société prussienne, à côté même de l’empereur, ces sentimens se font jour, et bien des voix fidèles avertissent l’empereur des dangers où va le précipiter cette politique antichrétienne. Les partisans de cette politique ont beau répéter que sur ce point tous les ministres sont d’accord avec de Bismarck, que M. de Mühler, l’ex-ministre des cultes, est sorti du cabinet parce que sa manière de comprendre le protestantisme ne lui permettait pas de faire la guerre aux catholiques, et que le nouveau ministre, M. le docteur Falk, est décidé à se montrer inflexible dans l’exécution des lois votées contre l’église. « Qu’importe ? répond le publiciste que nous venons de citer. Si M. le docteur Falk est placé très haut en ce moment, il y a quelqu’un placé plus haut que lui, et celui-là repousse désormais les conséquences anti-ecclésiastiques du système de M. de Bismarck. Aucun doute n’est permis à cet égard. Il se peut que M. de Bismarck boude à Varzin à cause de cela et se pose arrogamment en homme indispensable, mais en dernière analyse il n’y a personne qui ne puisse être remplacé. »

Il y a donc des leçons pour tout le monde dans la partie de cette correspondance qui concerne la création de l’empire d’Allemagne. La leçon qui s’adresse à nous, c’est un nouveau reproche à notre ignorance. Que de fois n’avons-nous pas refusé de croire aux mouvemens d’idées qui passionnaient l’Allemagne ! Il semblait que le projet de reconstituer l’empire fût l’invention de quelques rêveurs. On répétait que l’unité italienne avait créé l’unité germanique, et que tous nos malheurs étaient venus de là On s’obstinait à ne rien voir de ce qui se passait au-delà de nos frontières, on ne pardonnait pas aux esprits attentifs d’en parler en toute franchise. Signaler à nos concitoyens ces grands courans d’opinion dont toute politique sérieuse doit tenir compte, c’était presque une trahison. Bossuet a dit quelque part avec son admirable bon sens : « Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient. » Ce dérèglement était le nôtre. Voulant que l’Allemagne, par exemple, pensât d’une certaine façon, nous ne voulions pas croire et nous ne permettions pas de dire qu’elle