Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/838

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait faites pour l’armement de douze navires de guerre ; ce qui indigne, c’est de voir Mirabeau mis en cage, comme disent les mémoires du temps, parce qu’il avait signalé les honteuses malversations des gens de finance et la complicité des hommes chargés de veiller sur la fortune de l’état. Il faut toutefois rendre cette justice à l’ancienne monarchie, qu’en trois siècles elle a envoyé moins de prisonniers au château de Ham que ne l’ont fait en vingt-cinq ans la révolution, l’empire et la restauration. Durant cette courte période, on les compte par centaines, et toutes les classes, toutes les opinions, toutes les lâchetés et tous les dévoûmens y sont représentés. Sous la terreur, les jacobins envoient le fameux général Rossignol, l’élu des clubs de Paris, qui s’était illustré dans la Vendée par sa merveilleuse aptitude à se faire battre, réfléchir dans la tour du connétable sur le néant des grandeurs révolutionnaires[1]. Au 9 thermidor, c’est le tour des jacobins, et ceux-ci, pour égayer leur captivité, jouent à la guillotine. Sous le consulat et l’empiré, les cachots sont trop étroits pour contenir les nouveaux suspects. L’homme qui se glorifiait d’avoir rétabli le culte expédie au gouverneur du château les prêtres qui se permettent de blâmer ses violences envers le pape, et l’un d’eux, l’abbé Henri de Briosne, est si durement traité, il est placé dans une chambre si malsaine, qu’après deux ans de captivité il ne peut plus descendre seul de son lit, ni se lever de son fauteuil. La vieille forteresse, transformée en bastille impériale, ne suffisait pas, si vaste qu’elle fût, et le décret du 3 mars 1810 créa huit autres prisons d’état, qui ne tardèrent point à se remplir.

Louis XVIII, en remontant sur le trône de ses pères, comme on disait sous la restauration, promulgua une ordonnance par laquelle il déclarait qu’à l’avenir le château de Ham ne recevrait plus de prisonniers politiques ; mais, comme ses ancêtres, il pensait avec saint Thomas que les lois n’obligent point ceux qui les ont faites. En 1815, il y envoya pour trois mois le maréchal Moncey, qui avait refusé de prendre part à l’assassinat juridique du maréchal Ney, et l’année suivante il y envoyait pour vingt ans l’un des plus honnêtes soldats des armées de la république et de l’empire, le général Travot, que l’emprisonnement rendit fou, et qui mourut sans avoir jamais recouvré la raison[2]. Quinze ans plus tard, le vent

  1. L’un des geôliers de Rossignol, en lui apportant sa pitance, lui reprocha d’avoir fait tailler en pièces les soldats de la république ; il répondit tranquillement : « N’avaient-ils pas tous juré de mourir pour la patrie ? »
  2. Le crime du général Travot était d’avoir accepté pendant les cent-jours le commandement de la division militaire de Rennes, où il donna des preuves de la plus grande modération. Bien qu’il fût couvert par l’amnistie du 12 janvier 1816, il fut traduit devant un conseil de guerre et condamné à mort le 20 mars suivant. Louis XVIII daigna commuer sa peine en vingt ans de détention.