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des révolutions déracinait le vieux tronc capétien, et le 29 décembre 1830 les ministres signataires des ordonnances, MM. de Polignac, de Peyronnet, de Chantelause et de Guernon-Ranville, venaient occuper les cellules de l’abbé de Briosne et du général Travot. Mme de Polignac vint habiter Ham, où elle se fit bénir des malheureux par son inépuisable charité, et le duc son mari se consola en écrivant des Etudes historiques, philosophiques et morales. M. de Peyronnet publia les Pensées d’un prisonnier, et donna au Livre des cent et un une curieuse étude sur les hommes que les perpétuelles réactions de la politique avaient jetés, comme lui, sous les verrous de la forteresse. Rigide observateur des règlemens auxquels il était soumis, il ne se plaignit jamais, et demanda pour unique faveur qu’on voulût bien changer l’heure de sa promenade. « Si cette heure ne vous convient pas, répondit le commandant, restez chez vous. » A dater de ce moment, M. de Peyronnet ne sortit plus de sa chambre jusqu’au jour où le roi Louis-Philippe le rendit à la liberté, ainsi que ses anciens collègues, après une détention qui avait duré près de six ans. »

Louis-Napoléon succéda aux ministres de Charles X. Il fut conduit à Ham après l’affaire de Boulogne, et fut sur sa route l’objet d’une grande curiosité. A l’un des relais de poste, une vieille femme s’approcha pour lui demander une grâce, et il promit de s’en souvenir quand il serait empereur. Des faits du même genre se produisirent pendant toute la durée de sa détention. Chaque fois que, dans ses promenades à l’intérieur du château, il passait devant un factionnaire, celui-ci lui présentait les armes, et malgré la salle de police, malgré les changemens de la garnison, les sentinelles n’en continuaient pas moins de lui rendre les honneurs militaires. Louis-Napoléon s’était évadé de Ham le 25 mai 1846. Trois ans plus tard, le 22 juillet 1849, il y revenait comme président de la république. Dans le banquet qui lui fut offert par la ville, il se leva et dit : « Je porte un toast en l’honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions du pays. » Et le 3 décembre 1851 les généraux Cavaignac, Changarnier, de Lamoricière, Le Flô, Bedeau, le colonel Charras, MM. Baze et Roger du Nord traversaient les ponts-levis du château. Ainsi furent justifiées ces paroles de Machiavel : « quand une assemblée est en lutte avec un prince, c’est le prince qui doit triompher, parce qu’il a sur l’assemblée l’avantage du silence et du mensonge. »

Le 21 novembre 1870, lorsqu’une division prussienne vint prendre possession du château de Ham, le premier soin du général Kummer fut de visiter les appartemens qu’avait occupés Napoléon, comme s’il avait voulu donner un témoignage de reconnaissance