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― Qu’est-ce donc que ce Vladimir... Podolef ? demanda-t-elle enfin à son mari d’un ton de suprême dédain.

― C’est un homme. N’est-ce pas tout dire ? répondit Mihaël, qui était au-dessus d’une vulgaire jalousie. Il a des biens du côté de la frontière, dans le cercle de Zloczow, et il vient de prendre ici à ferme nue grande exploitation. Vladimir est un homme éclairé qui cherche le progrès ; il a voyagé à l’étranger et a beaucoup appris ; ce n’est ni un paresseux, ni un faiseur de projets,... ni surtout, ajouta-t-il en regardant Olga, un fat, comme la plupart de nos jeunes gens.

― Il n’est pas Polonais ?

― Comment peux-tu croire ? A-t-on jamais vu un Polonais devenir un homme sérieux ? Il est Russe, bien entendu.

Olga ne put dormir cette nuit. Elle cherchait dans sa tête comment elle s’y prendrait pour punir cet insolent.

Quelques jours après leur première rencontre, le Cosaque lui annonça Vladimir. Elle se flattait qu’il venait pour elle, et l’accueillit avec un sourire de triomphe. ― Mon mari est au village, fit-elle ; il ne reviendra que fort tard. - Elle espérait qu’il laisserait percer la satisfaction que devait lui causer cette réponse ; mais il dit simplement : ― Alors je reviendrai demain.

― Pourquoi ne voulez-vous pas rester ? demanda-t-elle, surprise de le trouver si peu empressé.

― Je suis venu pour voir l’exploitation de Mihaël ; je ne suppose pas, madame, que vous puissiez me la montrer.

― Eh bien ! vous me tiendrez compagnie.

― Cela me serait difficile. Vous me trouveriez peu amusant, et moi,... je n’ai pas le temps de lancer des bulles de savon. La vie est si courte... Je tombe à vos pieds, madame. ― Et il se retira.

Il revint le lendemain dans l’après-midi. Olga, qui lisait un roman nouveau, ne quitta pas son fauteuil à bascule. Elle l’entendit causer avec Mihaël dans la pièce voisine, dont la porte était entrebâillée. Elle ne voulut pas écouter ; malgré elle, elle ne perdit pas un mot. Non sans dépit, elle constata que Vladimir parlait avec une rare lucidité des sujets auxquels il touchait ; dans sa bouche, hommes et choses devenaient pour ainsi dire transparents. ― Avec toi, ami, on apprend toujours, répétait son mari à plusieurs reprises, ― et elle le savait avare d’éloges.

Il faisait nuit lorsqu’elle s’entendit appeler par Mihaël. Avec une sorte de précipitation involontaire, elle poussa la porte ; elle n’aperçut que les bouts de leurs cigares, qui brillaient comme deux points rouges dans l’obscurité ; cependant au mouvement brusque de l’un des deux points lumineux, elle comprit que Vladimir s’était levé