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noise baigne dans des marais tourbeux. La vigne disparaît ou ne donne plus qu’une récolte de qualité médiocre jusqu’aux bords de la Seine, où elle produit, non plus un vin recherché, mais le chasselas de Fontainebleau, le roi des fruits. Le village de Thomery est en effet situé, comme les plus fameux crus de la Champagne, à la limite des terrains tertiaires et de la craie.

N’est-il pas curieux de constater que les vignobles, de même que les prairies, se sont cantonnés d’une façon en quelque sorte spontanée dans les pays qui leur conviennent le mieux ? Le paysan ne cherche pas à violenter la nature; l’expérience de ses ancêtres lui apprend qu’il aurait tort. Cette région de la France n’est pas une contrée nouvelle où le cultivateur puisse hésiter, travailler à tâtons. Les savans n’ont rien à faire qu’à constater les faits, en déduire les causes et approuver l’enseignement donné par la tradition. Ceci est encore vrai, quoique avec certaines réserves, pour les forêts, qu’il nous reste à examiner.

On pourrait dire qu’aucun terrain n’est rebelle à la culture forestière, et qu’ils ne diffèrent entre eux sous ce rapport que par l’abondance ou la qualité du produit. Il y a cependant certaines exceptions. Les bois ne poussent presque pas sur un sol marneux; la craie ne leur convient pas mieux, non plus que le calcaire imperméable de la Beauce. Toutes ces couches géologiques ne portent que des arbres rabougris, dont le feuillage n’est jamais bien vert. Au contraire la sylviculture réussit à merveille dans les terrains sableux ou argilo-sableux, c’est-à-dire dans le granit du Morvan, dans les limons des plateaux tertiaires et dans les sables de Fontainebleau. Cependant la conservation des forêts ne dépend pas seulement de la nature plus ou moins favorable du sol; elle est soumise à une autre influence bien puissante, qui est le plus ou moins de bénéfice qu’elles donnent en comparaison d’autres cultures. On en a la preuve en parcourant le lias de l’Auxois, sol éminemment propre à la végétation sylvestre, comme l’attestent quelques bouquets de bois, derniers vestiges de belles forêts que l’on a défrichées pour mettre en place des prairies, du froment ou de la vigne. Dans l’état actuel, les bois occupent 37 pour 100 de la superficie dans le Morvan, 48 pour 100 dans le terrain crétacé inférieur de l’Argonne, 32 pour 100 dans les terrains oolithiques de la Bourgogne; ils recouvrent la presque totalité des sables de Fontainebleau. On en trouve à peine 10 pour 100 sur les terrains tertiaires, et même moins encore lorsque ces terrains sont fertiles; la Champagne crayeuse et la Beauce n’en ont pas 2 pour 100. En somme, la surface boisée est très considérable, quoique inégalement répartie. Partout on n’a laissé aux forêts que les plus mauvais sols. Est-ce un mal? est-ce un bien? Cela mérite d’être éclairci.