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observation aussi ancienne que l’homme, établit cependant que ces caractères, tout personnels, sont transmissibles par la génération. Dans quelles limites et dans quelles conditions ? Voilà ce qu’il s’agit de rechercher avec toute sorte de prudence, car il n’y a pas de question où l’on soit plus exposé à glisser sur des pentes dangereuses.

L’hérédité est surtout manifeste dans la continuité des états physiologiques et pathologiques. Elle s’accuse fortement dans l’expression et dans les traits de la physionomie. Les anciens l’avaient remarqué : de là, chez les Romains, les nasones, les labéones, les buccones, les capitones, etc. Le nez est peut-être de tous les traits celui que l’hérédité conserve le mieux : celui des Bourbons est célèbre ; elle se manifeste aussi dans la fécondité et dans la longévité. Dans la vieille noblesse française, plusieurs familles ont joui d’une grande vigueur de propagation. Anne de Montmorency, qui, âgé de plus de soixante-quinze ans, put encore à la bataille de Saint-Denis briser de son épée les dents du soldat écossais qui lui porta le dernier coup, était père de 12 enfans. Trois de ses aïeux, Mathieu Ier, Mathieu II, Mathieu III, en avaient ensemble 18, dont 15 garçons. Le fils et le petit-fils du grand Condé en avaient 19 à eux deux, et leur arrière-grand-père, tué à Jarnac, 10. Les quatre premiers Guises comptaient ensemble 43 enfans, dont 30 garçons. Achille de Harlay, père du premier président, eut 9 enfans, son père 10, son arrière-grand-père 18. Dans certaines familles, cette fécondité a duré pendant cinq ou six générations. La longueur de la vie moyenne dépend des localités, du régime, de l’état de la civilisation, mais la longévité individuelle paraît complètement affranchie de ces conditions. On l’observe chez ceux qui mènent la vie la plus laborieuse aussi bien que chez ceux qui prennent le plus grand soin de leur santé, et elle semble tenir à une puissance interne de vitalité que les individus ont reçue de leurs ancêtres. Cela est si connu qu’en Angleterre les compagnies d’assurance sur la vie se font transmettre par leurs agens des renseignemens sur la longévité des ascendans de la personne à assurer. Dans la famille de Turgot, on ne dépassait guère l’âge de cinquante-neuf ans, et l’homme qui en a fait la célébrité eut le pressentiment, du jour où il eut atteint la cinquantaine, que le terme de sa vie n’était pas éloigné. Malgré toute l’apparence d’une bonne santé et une grande vigueur de tempérament, il se tint prêt depuis lors à mourir, et il mourut en effet à l’âge de cinquante-trois ans.

L’hérédité transmet souvent la force musculaire et diverses autres activités motrices. Il y avait dans l’antiquité des familles d’athlètes ; les Anglais ont des familles de boxeurs. Les recherches récentes de M. Galton sur les lutteurs et les rameurs à la course montrent