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que les vainqueurs, dans les exercices où ces hommes prennent part, appartiennent en général à un petit nombre de familles où l’agilité et l’adresse sont héréditaires. La souplesse et la grâce dans les mouvemens de la danse se transmettent aussi, comme en témoigne la célèbre famille des Vestris. Il en est de même des diverses particularités de la voix, le bégaiement, le nasillement, le grasseyement. Les familles de chanteurs sont nombreuses. La plupart des enfans nés de parens bavards sont bavards de naissance. Le docteur Lucas cite l’exemple d’une domestique d’une loquacité irrésistible. Elle parlait aux personnes à ne pas les laisser libres de respirer, elle parlait aux bêtes, aux choses ; elle s’entretenait tout haut avec elle-même. Il fallut la congédier ; « mais, disait-elle à son maître, ce n’est pas de ma faute, cela me vient de mon père, dont le même défaut désespérait ma mère, et il avait un père qui était comme moi. »

L’hérédité des anomalies de l’organisation a été constatée dans beaucoup de cas. L’un des plus singuliers est celui d’Edward Lambert, dont le corps, moins le visage, la paume des mains et la plante des pieds, était recouvert d’une sorte de carapace d’excroissances cornées. Il donna le jour à six enfans qui tous dès l’âge de six semaines présentèrent la même anomalie. Le seul qui survécut la transmit, comme son père, à tous ses fils, et cette transmission, marchant de mâle en mâle, se continua pendant cinq générations. On cite aussi la famille Colburn, dans laquelle les parens communiquèrent aux enfans pendant quatre générations ce qu’on a appelé le sexdigitisme, c’est-à-dire des membres à six doigts. L’albinisme, la claudication, le bec-de-lièvre et d’autres anomalies se reproduisent de la même façon dans la descendance. On a constaté que des habitudes purement individuelles étaient susceptibles d’une semblable tendance à la répétition. Girou de Buzareingues dit avoir connu un homme qui avait l’habitude lorsqu’il était dans son lit de se coucher sur le dos et de croiser la jambe droite sur la gauche. Une de ses filles apporta en naissant la même habitude ; elle prenait constamment cette position dans son berceau malgré la résistance des langes. Le même auteur assure qu’il a observé souvent des enfans ayant reçu de leurs parens des habitudes non moins extraordinaires qu’on ne peut rapporter ni à l’imitation ni à l’éducation. Darwin en signale un autre exemple. Un enfant avait la bizarre habitude, lorsqu’il était content, de remuer rapidement ses doigts. Quand il était très excité, il levait les deux mains de chaque côté de sa figure, à la hauteur des yeux, toujours en remuant les doigts. Devenu vieux, il avait encore de la peine à se contenir pour ne pas faire ces gestes. Il eut huit enfans, dont une petite fille qui dès l’âge de quatre ans remuait ses doigts et levait ses mains tout