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Moulin, cherche à y démontrer que les enfans sont la photographie vivante de leurs parens considérés au moment même de la conception ; d’après lui, les parens transmettent aux enfans les goûts et les aptitudes dont l’exercice spontané ou provoqué était alors à son maximum. Les conclusions absolues que M. Moulin tire de ses recherches touchant l’art de procréer des enfans supérieurs font parfois sourire, mais les faits qu’il cite à l’appui sont curieux. En voici quelques-uns. Neuf mois avant la naissance de Napoléon Ier, la Corse était en pleine discorde. Le célèbre Paoli, à la tête d’une armée de citoyens formée par ses soins, tâchait d’éteindre la guerre civile et de prévenir une invasion d’étrangers. Charles Bonaparte, son aide-de-camp et son secrétaire, déployait à ses côtés un admirable courage. Le jeune officier avait près de lui sa femme, Lœtitia Ramolino, d’une beauté romaine, d’un mâle et puissant caractère. Napoléon fut conçu sous la tente, la veille d’un combat, à deux pas des batteries tournées vers l’ennemi. — Robespierre datait de l’année 1758, qui vit tenailler et écarteler en place de Grève le régicide Damiens, année de guerre, de famine, de mécontentement. Son père était avocat et lecteur insatiable du Contrat social. — Pierre le Cruel, roi de Castille, naquit d’Alphonse XI, qui vivait en mésintelligence avec sa femme. Des scènes scandaleuses de colère, de jalousie, d’emportement, troublaient perpétuellement le ménage royal, et le résultat du commerce des deux époux fut Pierre le Cruel, monstre de laideur physique et morale. — L’histoire nous-montre les parens de Raphaël adonnés tous deux à l’art de la peinture. L’épouse, vraie madone, se complaisait dans les sujets gracieux et pieux ; le père, barbouilleur énergique, avait pour lui la force.

M. Ribot, dans l’ouvrage remarquable qu’il vient de consacrer à l’hérédité, recherche les lois de cette mystérieuse influence, qu’il considère comme une sorte d’habitude, de mémoire éternelle. Ces lois ne sont guère que la constatation des directions habituelles de l’impulsion héréditaire. Tantôt l’hérédité va du père à la fille, de la mère au fils ; tantôt l’enfant tient de ses deux parens. Enfin, il arrive souvent que l’enfant, au lieu de ressembler à ses parens immédiats, ressemble à l’un de ses grands parens ou à quelque ancêtre encore plus reculé, ou à quelque membre éloigné d’une branche collatérale de la famille. C’est ce qu’on a nommé l’atavisme ou l’hérédité en retour[1]. Ce dernier fait était bien connu des

  1. On a rapproché de l’atavisme le singulier phénomène des générations alternantes. En 1818, Chamisso découvrit, en étudiant les biphores ou salpas, que ces animaux sont tour à tour libres ou agrégés. A la première génération, on trouve les biphores chaînes, produits par gemmation ; à la deuxième, les biphores solitaires, produits par des spores ; à la troisième, on retrouve les biphores chaînes, en sorte que le fils ne ressemble jamais à son père et ressemble toujours à son grand-père. Les travaux de Saars et de Steenstrup ont fait voir que chez d’autres animaux le cycle dépasse trois générations, et que la ressemblance, au lieu d’aller de l’aïeul au petit-fils, va du bisaïeul à l’arrière-petit-fils.