Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/972

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au contraire, ces derniers ont agi avec discipline, ils ont groupé dans un faisceau commun toutes les forces qui sont à leur disposition ; toutefois ils ne manqueraient pas de compromettre leur succès, s’ils voulaient en exagérer les conséquences. Sans doute l’élément germanique doit jouir en Autriche d’une somme d’influence considérable, mais il ne faut pas que cette influence dégénère en une prépondérance abusive, qui serait difficile à soutenir alors même que les deux nationalités dominantes, les Allemands et les Magyars, concerteraient toujours leurs efforts vers un but commun. Dans les 35 millions 1/2 d’âmes qui forment la population de l’Autriche-Hongrie, les Allemands comptent pour 9 et les Magyars pour 5 millions 1/2 ; 21 millions d’âmes appartiennent aux autres nationalités. C’est là un élément dont il serait puéril de ne pas tenir compte. Si donc dans les provinces allemandes il y a des exagérés qui souhaiteraient pour la race germanique une suprématie sans limites, en revanche il y a des modèrés qui se contentent de réclamer pour cette race une part légitime d’influence. De même dans les autres provinces cisleithanes, notamment en Galicie et en Bohême, les hommes modérés ne manquent pas à qui les intérêts spéciaux de chaque race ne font pas perdre de vue les intérêts généraux de la monarchie.

Une autre considération est de nature à rassurer les esprits sur l’avenir de l’empire des Habsbourg, c’est que le sentiment dynastique sur vit jusqu’à présent à toutes les crises. On comprend aujourd’hui que l’empereur François-Joseph ne peut être d’une manière exclusive ni Allemand, ni Hongrois, ni Croate, ni Tchèque ; son pouvoir est un élément supérieur et pondérateur qui maintient l’équilibre entre des forces rivales, et empêche une désagrégation dont l’équilibre général aurait autant à souffrir que l’Autriche elle-même. Enfin les questions en litige restent purement intérieures et ne prennent pas, quant à présent du moins, le caractère international qui en aurait doublé la gravité. Il importe que les populations ne se tournent ni du côté de Berlin, ni du côté de Saint-Pétersbourg, et que la nationalité autrichienne, planant au-dessus des autonomies provinciales, dont elle est à la fois le centre et la garantie, demeure en dehors de toute atteinte. Bien que souvent forcé à des modifications politiques, l’empereur François-Joseph ne change pas les grandes lignes de son règne. Qu’il mette à la tête du ministère les fédéralistes ou les centralistes, il n’en désire pas moins concilier l’ordre et la liberté, en combinant les droits des différentes races avec les conditions essentielles à l’intégrité de l’empire. Il faut faire des vœux pour que ce programme s’accomplisse.