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c’est un des curieux et dramatiques spectacles du temps. Qu’on réfléchisse un moment à tout ce qui s’est accumulé de vicissitudes, de révolutions, d’épreuves, de déceptions, avant que ces deux princes aient pu se retrouver ainsi en présence, renouant un lien de famille rompu par tant de catastrophes diverses ! M. le comte de Chambord et M. le comte de Paris n’ont pu se rencontrer sans que tout un passé fût là témoin muet et invisible de l’entrevue et de la réconciliation. C’est là précisément ce qu’il y a d’étrange et de saisissant dans cette scène, qui résume toute une histoire. Politiquement, l’entrevue de Frohsdorf a sans nul doute une importance qu’on ne peut méconnaître. Jusqu’ici, en dehors de tout le reste, une des forces, une des garanties de la république était dans les divisions dynastiques, dans la multiplicité des compétiteurs à une même couronne. On pouvait dire et on disait : Vous n’avez qu’un trôné pour plusieurs prétendans. La monarchie n’est pas une solution, puisqu’elle n’est que le morcellement des partis conservateurs par l’anarchie des compétitions dynastiques. Maintenez la république, puisque seule elle peut rallier sur un même terrain toutes les forces conservatrices. — Désormais l’anarchie des prétentions a diminué, cela est vrai ; il n’y a plus qu’une monarchie, au moins de ce côté, et on sait à quoi s’en tenir, on sait qu’il n’y a plus qu’une royauté. L’entrevue de Frohsdorf a certainement sous ce rapport simplifié ou déblayé la situation. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’une difficulté, qui n’était pas la moins sérieuse, se trouve écartée. Ce qui regardait personnellement les princes est fait, la réconciliation est accomplie. Théoriquement, l’unité de famille ou de dynastie est reconstituée. Il ne reste plus en vérité qu’un petit nombre de questions : quelles sont les conséquences possibles de cette réconciliation ? quel est le rôle du pays en tout cela ? quelle est même cette monarchie qu’on laisse entrevoir à la France sans la définir, sans dire ce qu’elle doit être ou comment on se propose de la faire ?

Il y a des questions sur lesquelles on peut s’exprimer en toute franchise. Ce n’est pas au point où nous en sommes qu’on peut éliminer la monarchie de l’avenir de la France, et dès que la monarchie est seulement possible, rien de ce qui peut lui donner le caractère d’une institution sérieuse, régulièrement acceptée, n’est indifférent. Malheureusement c’est ici que commencent les malentendus et les méprises. Il y a des esprits un peu pressés, fort dédaigneux de la réalité, qui se figurent déjà que, parce qu’un honorable rapprochement a eu lieu à Frohsdorf entre M. le comte de Chambord et M. le comte de Paris, il n’y a plus rien à demander, que tout est fini et réglé par cela même. Ils font ce qu’ont fait si souvent les républicains, ils ne voient que ce qui flatte leurs illusions et leurs espérances ; ils mettent tout dans un nom et dans une forme. Pour beaucoup de républicains ; il suffit que la république soit proclamée, qu’elle existe, qu’on puisse l’invoquer sans cesse