Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coupée par aucun ornement saillant : colonnes accouplées ou pilastres de haut-relief. Ce n’est cependant pas dans cette salle de nobles proportions que le Véronèse a peint ses fresques, c’est dans une série de petites pièces qui se suivent formant les deux petits bras de la croix, et dans des sortes de stanze parallèles à la galerie et qui la desservent. On se demande comment le Véronèse, qui aimait les larges espaces et qui ne reculait pas devant les surfaces, a pu laisser la plus vaste des salles vide de peinture, et a préféré prendre pour champ les stanze, où le spectateur, qui touche pour ainsi dire du doigt les sujets, n’a plus l’illusion nécessaire et le recul indispensable pour juger une œuvre d’art de grandes proportions. L’explication de ce fait est évidemment dans le genre d’existence que mènent les Italiens en villégiature. C’est dans les petits réduits élégans de la villa que le patricien a l’habitude de vivre, la salle de gala ne s’ouvre que rarement, et il veut avoir à tout instant sous les yeux les sujets qui le charment.

La seule décoration de cette galerie consiste en huit figures allégoriques peintes chacune dans une niche. Le comte Algarotti, qui a parlé de Masère, a voulu voir là les Muses; mais les attributs qui les distinguent et le nombre des figures ne caractérisent point les filles de Mémoire. Ce sont des suonatrici peintes en grisailles dans des fausses niches sur le fond desquelles elles portent des ombres vigoureuses. Par un parti-pris familier dont nous retrouverons ici de nombreux exemples, les décorateurs ont posé dans les angles, un peu au hasard et comme si on venait de les y appuyer, des lances et des hallebardes peintes à fresque et exécutées en trompe-l’œil de manière à faire illusion. Les autres compositions et les décorations proprement dites sont réparties dans quatre petites salles de dimension restreinte aux quatre angles de la grande galerie; dans une coupole assez considérable, au centre même de la croix, et dans six petites chambres, trois à droite et trois à gauche formant les petits bras. C’est un ensemble d’une importance considérable tant au point de vue du nombre des figures qu’au point de vue de la tenue de l’œuvre.

Le Zanetti, qu’Emmanuel Cicognara, l’érudit écrivain auquel on doit les Inscrizione Venetiane, appelle « un des plus profonds critiques de la Venise pittoresque, » a dit du Véronèse : « On ne saurait demander à cet artiste une bien grande élégance dans les figures nues. » S’il avait connu la villa des Barbaro, il n’aurait point porté ce jugement sommaire sur le Paolo, car c’est justement là, dans sa composition de l’Olympe et dans ses allégories, qu’on le voit aux prises avec le nu et qu’il s’élève à une hauteur jusque-là inconnue à son génie de décorateur. Il cherche la ligne harmonieuse et le modelé sévère : ce n’est plus seulement une main habile et un prestigieux