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Quand je venais ici, un cavalier a passé sur un cheval blanc, il était blanc lui-même et vêtu de blanc. Qui était-ce?

— C’était mon jour brillant, répondit la baba-yaga.

— Ensuite a passé un autre cavalier sur un cheval rouge, il était rouge et vêtu de rouge. Qui était-ce?

— C’était mon soleil rouge.

— Et qui était le cavalier noir qui passa près de moi juste à votre porte?

— C’était ma nuit noire; tous sont mes serviteurs. — Vasilissa pensait aux trois paires de mains, mais elle ne dit rien.

— Pourquoi ne demandes-tu plus rien? dit la baba-yaga.

— C’est assez, la vieille, tu as dit toi-même : Qui sait trop vieillit vite.

— Tu as bien fait de ne parler que de ce qui se passe hors de chez moi. J’aime à laver mon linge sale en famille; quant aux gens curieux,... je les mange. Maintenant une question. Comment fais-tu la besogne que je t’impose?

— La bénédiction de ma mère m’assiste, répondit Vasilissa.

— Eh! eh! qu’est-ce que cela? Sors de chez moi, créature bénie! Je n’ai pas besoin de gens bénis chez moi. — Elle poussa Vasilissa hors de chez elle, la mit à la porte, prit un des crânes de la clôture, le ficha sur un bâton, le lui donna en disant : — Prends ceci, c’est une lumière que tu peux porter à tes belles-sœurs. C’est, je pense, ce qu’elles t’ont envoyée chercher.

Vasilissa partit en courant éclairée par le crâne, qui ne s’éteignit qu’aux premières lueurs de l’aube; le lendemain du second jour, elle arriva à la maison. Au seuil de la porte, elle eut envie de jeter le crâne.

— Sans doute, pensait-elle, on n’a plus besoin de lumière à la maison.

— Mais une voix creuse sortit du crâne, disant : — Ne me jette pas! porte-moi à ta belle-mère.

Elle regarda la maison, et, ne voyant de lumière à aucune fenêtre, elle se résolut à prendre le crâne avec elle. Pour la première fois de sa vie, elle fut cordialement reçue par sa belle-mère et ses belles-sœurs, qui lui dirent que depuis son départ elles n’avaient pas eu une étincelle de feu à la maison. Elles n’avaient pu allumer aucun briquet, et les lumières qu’elles apportaient de chez le voisin s’éteignaient dès qu’elles entraient dans la maison. — Peut-être ta lumière tiendra-t-elle, dit la mère. — Et on apporta le crâne dans la chambre; mais les yeux se mirent à les regarder de telle manière, à lancer de tels éclairs! Elles voulaient se cacher; partout les yeux les suivirent. Le matin, elles furent entièrement réduites en cendre. Vasilissa seule fut sauvée, et peu de temps après le roi du pays, qui passait par là, devint amoureux d’elle et l’épousa.


LOUIS LEGER.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.