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nant au péché. C’est en vain jusqu’alors qu’il avait essayé de ce jargon suspect sur Christiane, dont, on ne sait trop pourquoi, il était amoureux. Sa moustache ne le rebutait pas; on dirait même qu’elle l’attirait. La malheureuse disgraciée, très ennuyée de trouver son importun poursuivant dans son appartement, au moment où elle avait un si grand besoin de solitude, eut bien de la peine à le congédier. Lui parti, elle se mit au lit, maudissant une fois de plus sa laideur, sa destinée, se repaissant de rêves extravagans,... quand tout à coup elle se sentit saisir par une main de fer. Un cri rauque, parti de sa poitrine, réveilla toute la maison; la vieille servante, qui par hasard était encore debout, entra en toute hâte avec de la lumière, vit Christiane debout, en chemise, suffoquée d’effroi et de colère, et un homme noir qui partait en se cachant la figure. Cet homme n’était autre que Lorinser, qui avait feint de s’en aller, mais qui s’était caché dans la chambre de Christiane. Quand nous rapprochons cette scène à fracas de celle du fiacre, nous supposons que, dans l’intention de l’auteur, elle signifie quelque chose comme ceci : un athée amoureux peut être réservé jusqu’à la timidité, tandis qu’un croyant, rebuté dans ses amours, peut aller jusqu’au viol.

Cependant Balder était toujours malade, et même très malade. Léa aussi était malade, mais d’amour. Christiane n’allait guère mieux. Elle s’était enfuie sans dire où elle allait, et, deux ou trois jours après, Mohr, son amoureux pour le bon motif, avait la chance d’arriver juste au moment où on la retirait à peu près morte de la Sprée. Il la fit porter chez le petit peintre Kœnig, qui ne demeurait pas loin, et, grâce aux bons soins de Marquard et de Léa, elle revint à une vie dont elle ne savait que faire. Pourtant le brave garçon lui avait offert son cœur et sa main dans le plus ébouriffant des langages; mais Christiane n’avait voulu ni de l’un ni de l’autre.

Edwin n’était pas plus heureux avec Toinette. Celle-ci avait revu le jeune comte, qui, toujours amoureux-fou de sa beauté, l’avait demandée en mariage. Par une étrange obstination de la part d’une fille si froide et si désireuse de grandeurs, elle avait repoussé ses offres; toutefois elle ne se montrait pas plus empressée pour cela à répondre à l’amour d’Edwin. Elle ne pouvait aimer; c’était toujours là sa grande raison; Edwin était et pouvait rester son ami, mais rien de plus. C’est alors que le pauvre Balder, si malheureux lui-même en amour, par dévoûment pour son frère Edwin, voulut faire un coup de tête de sa façon. Par une froide matinée d’hiver, il se glisse, à l’insu d’Edwin, dans un fiacre et se fait conduire chez Toinette pour la supplier de condescendre aux vœux de son frère. « Je