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essayer d’une nouvelle excursion pédestre à travers les régions boisées et loin du fatal château où la vertu conjugale est si exposée. Léa, en proie à une tristesse amère, voit une dame inconnue d’une incomparable beauté, d’une distinction suprême, s’introduire chez elle sous prétexte de lui acheter une peinture. Cette dame n’est autre que la comtesse, venue furtivement dans l’espoir de retrouver Edwin, et pour savoir jusqu’à quel point la femme qui lui a inspiré une fidélité si robuste est pour elle une rivale invincible. Léa reconnaît Toinette, et les deux femmes font l’une sur l’autre une impression semblable, c’est-à-dire que Léa trouve la comtesse si admirablement belle et séduisante qu’elle ne peut admettre que son mari guérisse jamais de son amour pour elle; la comtesse de son côté s’en va persuadée par tout ce qu’elle a vu et entendu que les liens qui enchaînent Edwin à son foyer conjugal sont de ceux qui ne peuvent se rompre. Et voici le résultat final de cette double conviction.

Léa plus que jamais veut partir; elle est retenue par Réginette, et surtout par Franzelius, qui lui parle avec autorité le langage du bon sens, et achève de vaincre ses résistances en lui montrant dans son cabinet l’image de Balder, dont il a conservé les traits moulés après sa mort avec la dévotion d’un croyant pour une relique. Quel lien logique y a-t-il entre cette contemplation du pauvre jeune homme qui semble encore lui sourire du fond du tombeau et la détermination de Léa, qui consent enfin à rester près de son mari? C’est ce qui n’est pas très clair; mais enfin il paraît que Balder mort continue d’exercer dans le cercle de ses amis la même influence apaisante dont ils ressentaient toujours l’effet quand il était vivant. Edwin, qui éprouve l’impérieux besoin de se retrouver près de sa femme, qu’au fond il aime toujours de tout son cœur, revient beaucoup plus tôt qu’on ne s’y attendait, et voilà les deux époux réunis pour tout le reste de leur vie.

Quant à la comtesse, une lettre d’un familier du château apprit quelques jours après à Edwin qu’elle avait mis fin à ses jours d’une singulière façon. Elle avait paru s’adoucir un peu avec son mari, et il avait été question à plusieurs reprises d’un voyage dans « la terre promise. » Cette expression était à double entente. Un matin, à la chasse, elle avait follement lancé son cheval à travers tous les casse-cou qui se trouvaient sur la piste, la bête s’était abattue; la comtesse, rapportée au château sans blessure apparente, mais très émue de sa chute, avait consenti; à se laisser saigner; pendant la nuit, elle avait arraché le bandage posé sur la veine ouverte, et le matin on l’avait trouvée baignée dans son sang et mourante.

Deux ans après, Edwin et Léa, en visite chez leurs parens; de Berlin, rencontraient le comte, conduisant un. superbe attelage et