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atteint chez nous vers 1840. Nulle part dans le monde civilisé ne se distribuait à la jeunesse un enseignement plus complet et plus harmonique. On peut dire sans exagération que le monde le savait. De toutes parts nous arrivaient ses enfans. L’effectif d’une classe de Louis-le-Grand se composait en ce temps-là, pour la dixième partie au moins, d’écoliers venus de New-York ou de Moscou, de Constantinople ou de Rio-Janeiro, de Copenhague ou de Bucharest. Quelques-uns d’entre eux ne nous étaient envoyés, notons-le bien, qu’après que leurs parens avaient fait l’épreuve du gymnase allemand. Même en ce degré de prospérité, tout n’était pas parfait, et la croyance qu’on avait réalisé la perfection, si on s’y était endormi, aurait suffi pour amener la décadence; mais l’Université n’était jamais restée stationnaire. Partie du plan d’études que lui avaient légué l’Oratoire et la société de Jésus, point de départ d’ailleurs excellent, elle n’avait cessé, pendant quarante années, de le modifier et de l’enrichir graduellement, aussi attentive à introduire dans ses collèges les notions définitivement acquises par la science qu’à en écarter les théories scientifiques en voie de formation. C’est ainsi que, contrairement au préjugé généralement répandu qui accuse l’Université de n’enseigner ni les langues vivantes, ni la géographie, elle avait fondé des classes spéciales de géographie dès l’année 1818 et créé des cours réguliers de langues vivantes par l’ordonnance du 26 mars 1829. Si donc il restait en 1852 des lacunes à combler, — et il en restait, — s’il s’était déclaré des excès à corriger, — et il s’en était déclaré, — on pouvait se fier à l’institution universitaire du soin de s’amender elle-même; son passé répondait pour elle : tout ce qu’il y avait à faire d’utile, elle l’eût fait, mais en procédant, comme il convient en matière d’éducation, prudemment, lentement, par voie de développement progressif, et non par soubresauts.

Le décret du 9 mars 1852 est survenu. Il a créé chez nous une charge aussi nouvelle que ridicule : le dictateur de la pédagogie, autrement dénommé ministre de l’instruction publique. Plus de conseil permanent ni de conseil élu, — un conseil nommé par le ministre. Plus de tribunaux disciplinaires pour juger les professeurs, — les professeurs nommés, révoqués, transportés du nord au sud et de l’est à l’ouest, selon la volonté du ministre. Plus de professeurs, — des mécaniques animées qui recevaient l’ordre, par toute la France, de débiter le même jour, à la même heure, de la même manière, de Quimper-Corentin à Carpentras, et de Dunkerque à Carcassonne, la même leçon, enfermée dans le même nombre de mots. Qu’est-ce qui est tout dans l’éducation? Le maître; on décida qu’il ne serait plus rien, et qu’il était impossible de rien