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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/430

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L’amour conjugal a fourni le sujet du Très chevaleureux comte d’Artois. Ce vaillant chevalier avait épousé une femme jeune et jolie qu’il aimait tendrement; mais elle ne pouvait lui donner d’héritier. Menacé de voir s’éteindre sa race et son nom, il résolut, pour se distraire et se consoler, de courir le monde en cherchant aventure, et fit serment de ne point rentrer dans son comté et de ne point revoir sa femme « jusqu’à ce que trois choses qui sont comme impossibles soient advenues : » la première, qu’il eût un fils de sa femme et qu’il en fût le père sans qu’il s’en doutât le moins du monde, — la seconde, qu’il eût donné à sa femme son meilleur cheval, sans savoir que c’était à elle qu’il le donnait, — la troisième, qu’il lui eût donné son plus beau diamant à la même condition. Après avoir fait part à la comtesse de cette résolution étrange, il se mit en route, marcha droit devant lui, « adoucissant les furieux, humiliant les orgueilleux, apaisant les discordés, » et, plus heureux que le héros de la Manche, menant à bonne fin une foule d’aventures plus extraordinaires les unes que les autres.

Pendant ce temps, la comtesse sa femme s’était mise à sa recherche, dans l’espoir de le relever de son serment en faisant advenir les trois choses impossibles. Après de longs voyages, elle le retrouva en Espagne, et se mit à son service sous le nom de Philipot, en se déguisant si bien qu’il n’eut garde de la reconnaître. Elle ne tarda point à gagner ses bonnes grâces par ses prévenances et les soins dont elle l’entourait. Il se sentait attiré vers elle par un charme dont il ne pouvait se rendre compte, et lui confiait toutes ses pensées.

— Philipot, lui dit-il un jour, tu me vois triste et abattu; sais-tu pourquoi? C’est que la fille du roi de Castille m’a navré d’amour. Je ne sais que faire pour me mettre en grâce avec elle, et si tu pouvais décider cette beauté si haut assise à me prendre à merci, je ferais pour toi plus que pour un frère, et, quelque chose que tu me demandes, je ne te la refuserais pas.

La comtesse sut habilement profiter de l’occasion. Elle fit ses confidences à la gouvernante de la fille du roi de Castille, qui la seconda de son mieux dans l’accomplissement de son projet, et quand les trois choses impossibles furent accomplies, elle quitta l’Espagne pour se rendre en Artois sur le cheval que son mari lui avait donné sans savoir qu’elle était sa femme. Lorsqu’elle fut de retour dans la ville d’Arras, elle informa le très chevaleureux comte de la ruse qu’elle avait employée pour le relever de son serment. Celui-ci se hâta de revenir en France. Les deux époux, bénis de Dieu et chéris de leurs vassaux, passèrent tranquillement le reste de leurs jours dans leurs domaines, et, comme l’homme aux quarante écus, ils laissèrent une nombreuse postérité. La comtesse