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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/446

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jusqu’aux plus grossières insultes le mépris du clergé et des antiques croyances, on devine sans peine à quel degré de violence en arrivaient les réformés. Le conte était pour eux comme pour Voltaire un instrument de guerre et de démolition. Tout en commentant les Grecs et les Romains, ils cherchaient à déconsidérer les prêtres catholiques, et surtout les moines et les moinesses, par une foule d’anecdotes scandaleuses, les unes vraies, les autres de pure invention. Henri Etienne, deuxième du nom, nous a légué, dans l’Introduction au Traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes, un curieux exemple des exagérations auxquelles l’esprit de parti entraînait les réformés. A des dissertations aussi érudites que fastidieuses, Henri Etienne entremêle des contes où les moines, les quêteurs, les reliques et les miracles sont impitoyablement conspués. Tels sont entre autres les Braies de saint Bernardin, le Quêteur et les deux pourceaux, Saint-Pierre des Boudins et Frère Oignon. Dans ce dernier conte, frère Oignon monte en chaire pour annoncer qu’il revient de la terre-sainte, « et, en faisant un assez long discours de sa pérégrination, il dict entre autres choses que le patriarche de Jérusalem lui a donné un peu du doit du Saint-Esprit aussi sain et aussi entier qu’il a jamais esté, et le museau du séraphin qui apparut à saint François, et une des ongles du chérubin, et une des costes du Verbum caro, et des habillemens de la saincte foy catholique, et quelques rayons de l’estoile qui apparut aux trois rois, et un peu du son des cloches du temple de Salomon. » Tout le reste est dans ce ton. Parmi les écrivains de la réforme, d’Aubigné seul est allé aussi loin dans l’invective et l’ironie. Ce vaillant soldat, ce polémiste infatigable avait passé sa vie à combattre l’église romaine, trop souvent aussi à la calomnier, et ce n’étaient certes pas ses œuvres que sa petite-fille, la veuve Scarron, devenue la femme anonyme de Louis XIV, lisait dans les soirées moroses de Versailles, où ce prince, témoin du naufrage de sa fortune, se repentit sans doute plus d’une fois « d’avoir pris pour maîtresse une vieille femme et pour ministre un jeune homme. »

Après avoir jailli librement jusqu’aux dernières années du règne de Henri IV, la veine sceptique et anti-cléricale a tari tout à coup sous Louis XIII. On sent à cette époque qu’un pouvoir ombrageux et fort surveille et comprime les hardiesses de la pensée. Richelieu, ministre et cardinal, ne veut pas que la satire politique et religieuse s’attaque à son double caractère; les livres ne paraissent plus qu’avec un privilège du roi, et le conte se transforme. Cyrano de Bergerac inaugure par le Voyage dans la lune un genre nouveau auquel se rattachent de notre temps le Voyage au centre de la terre et autres ouvrages qui ont la prétention d’unir la science à la fan-