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taisie. Le Métel d’Ouville à son tour ouvre la série des anas et met pour la première fois en scène les types provinciaux qui figurent si souvent dans les comédies du XVIIIe siècle, c’est-à-dire les Normands et les Gascons. Les naïvetés de Calino, les aphorismes de M. Prudhomme, les reparties de la baronne X... et de la comtesse Z... ne sont souvent qu’un écho des Contes aux heures perdues, imprimés à Paris en 1643[1].

Les conteurs du moyen âge avaient charmé les barons et les châtelaines dans les salles attristées des manoirs féodaux; ils avaient fait oublier aux vilains les corvées seigneuriales, la taille et les gabelles, et donné par l’imitation Boccace à l’Italie et Chaucer à l’Angleterre. La Fontaine, prenant comme Molière son bien partout où il le trouvait, a formé son bouquet avec les fleurs qu’ils avaient effeuillées à travers les âges, et, n’auraient-ils que ce seul mérite, ce serait assez pour attirer l’attention sur leurs œuvres; mais ce n’est pas la simple curiosité littéraire qui doit nous recommander l’étude des poèmes chevaleresques, des romans d’aventures et des fabliaux, c’est aussi la philosophie et la science historique. On y trouve en effet sur la diffusion des idées et des croyances à travers les diverses branches de la grande famille humaine les plus précieuses indications; les hommes des vieux âges y revivent avec une vérité beaucoup plus saisissante que dans les chroniques, car l’idéal et le réel s’y mêlent sans cesse, comme ils se mêlent dans la vie. On ne saurait donc trop encourager les études qui ont pour objet d’éclairer d’un jour nouveau les origines de notre littérature nationale, de mettre en lumière l’influence que cette littérature a exercée sur l’Europe. Les érudits qui exploiteront cette mine féconde rencontreront sans nul doute un favorable accueil auprès du public français, car on est toujours écouté quand on parle aux peuples comme aux hommes des jours lointains de leur enfance.


CHARLES LOUANDRE .

  1. Ce livre, très recherché des bibliographes, est aujourd’hui très rare. On y trouve des naïvetés, des brocards, des reparties, des équivoques et des contes facétieux qui ne manquent pas d’esprit. En voici un échantillon : « Une dame de fort peu de sens, mais femme d’un homme qui estoit dans le haut employ et dont on faisoit estat à cause de son mary, avoit reçu un présent d’une belle paire d’heures. Elle, croyant que tout ce qui estoit dans ces heures fussent des prières, se mit à genoux dans l’église, et ouvrant les heures droit où estoit la permission de l’imprimeur, elle fait un grand signe de croix, et avec une grande dévocion commence à dire : « Il est permis d’imprimer et faire imprimer le présent livre à Jehan Petit, marchand libraire à Paris, etc. » Puis tournant le feuillet où est le calendrier, et refaisant le signe de la croix, elle dit : « Janvier a trente et un jours, et la lune n’en a que trente, » et ainsi des autres jusqu’à la fin de décembre. Oh ! que ces oraisons estoient bien dévotes ! »