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retoucher la loi, il s’avisa d’un expédient. On vit alors se former, sous le nom de parti de l’assommoir, partido de la porra, une mystérieuse association dont l’office était de prêcher à sa manière le respect du pouvoir. Plusieurs journaux étant sortis des bornes dans leurs attaques, la porra envahit leurs bureaux ; il y eut quelques rédacteurs contusionnés, des dégâts dans le tirage, des registres d’abonnemens saisis ; plus d’une gazette mourut de cet accident. Il s’était ouvert à Madrid et ailleurs des casinos carlistes ; ces mêmes protecteurs officieux de l’autorité les fermèrent de vive force. Comme la censure théâtrale avait été supprimée, il se joua des comédies qui renfermaient, des épigrammes un peu vives contre la régence et son cabinet ; les chevaliers du bâton emportèrent d’assaut les fauteuils d’orchestre et donnèrent aux auteurs d’éloquentes leçons de politesse ; — quelques directeurs prudens résolurent de ne plus mettre une pièce en répétition sans avoir pris au préalable l’avis d’un assommoir. C’est ainsi que le partido de la porra se chargeait, au dire d’un orateur, de résoudre les petites difficultés suscitées par la pratique de tous les droits individuels dans un pays qui n’est pas encore mûr pour l’absolue liberté.

Le roi Amédée avait des scrupules inconnus au général Prim ; il eût mieux aimé ne jamais régner que de gouverner par le bâton. Il a respecté les lois, et les lois l’ont perdu. Aussi la reine, avec ce grand sens politique dont elle a donné plus d’une preuve, disait un jour à un député des cortès : « La constitution nous rend la vie impossible ; tout le monde ici a le droit de se défendre, excepté nous. » Qu’on se rappelle la lamentable nuit où la vice-royauté de Sancho « s’éclipsa, s’anéantit et s’en alla en fumée. » Comme il était dans son lit, plus rassasié de procès que de bonne chère, fatigué de rendre des jugemens et de donner des avis, on vint lui annoncer en tumulte que les ennemis assiégeaient le palais, et qu’il ne pouvait se sauver, lui et son île, que par un acte de vigoureuse énergie. Aussitôt on l’enchâssa dans deux grands boucliers, liés étroitement avec des courroies, et on lui mit dans la main une lance, sur laquelle il fut obligé de s’appuyer pour se tenir debout. Equipé de la sorte, on lui dit de marcher le premier au combat, afin d’animer tout le monde par son exemple. « Comment marcherais-je ? s’écria-t-il. Entre ces planches où vous m’avez emboîté, je ne puis seulement plier le jarret. » L’instant d’après, il tomba lourdement et demeura par terre, « semblable à une tortue sous son écaille ou à quelque barque échouée sur le sable. » Image sensible de l’état d’un roi que sa constitution protège en lui interdisant tout mouvement !

La constitution de juin 1869 eût-elle mieux pourvu à la défense