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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/513

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défiaient de lui parce qu’il avait voulu s’émanciper, qu’il était nécessaire de le mettre hors d’état de recommencer. Le roi était averti que, si jamais il renouait avec les conservateurs, il aurait une bataille à livrer dans les rues ; il ne pouvait en affronter les risques que s’il était sûr du concours résolu de l’armée. On voulut briser l’instrument dans ses mains, et on y réussit. En se prêtant à cette intrigue, nous l’avons dit, plusieurs de ses ministres ne songeaient apparemment qu’à s’assurer de sa fidélité, et pensaient lui rendre service, l’empêcher désormais de faire des folies. Ils en usaient comme un sage et prévoyant gouverneur qui, craignant les coups de tête de son élève, retire prudemment de ses mains un pistolet chargé dont il pourrait faire un méchant usage ; — un malheur est si vite arrivé ! Ce que pensaient d’autres ministres est plus difficile à savoir ; mais il est hors de doute que la république à son avènement a respecté certaines situations et certains portefeuilles.

La partie de l’armée dont les démocrates de toutes nuances se défiaient le plus était l’artillerie. Cette arme savante, fort bien recrutée en Espagne, possédait un corps d’officiers instruits et capables, qui n’avaient pas d’attachement personnel pour le roi, étant la plupart disposés à lui préférer Alphonse de Bourbon ; mais l’état troublé du pays donnait des dégoûts à leur cœur de soldats. Acquis d’avance à la politique conservatrice, si le roi eût fait acte d’énergie, ils l’auraient servi fidèlement. Il y avait alors dans l’armée ce que les Espagnols appellent un garbanzo negro, c’est-à-dire un homme en butte à l’animadversion générale ; — on l’accusait d’un crime de félonie. La nouvelle se répand tout à coup qu’il est nommé maréchal de camp. Grande émotion parmi les officiers d’artillerie. Ils s’indignent, ils protestent, ils finissent par mettre le ministère en demeure ou de révoquer son décret ou d’accepter leur démission collective. C’est ce qu’on appelle l’affaire Hidalgo.

On assure que le roi n’apprit ce qui se passait que par la lecture d’un journal ; ses ministres ne s’étaient pas donné la peine de l’informer. Il sentit aussitôt la portée de l’incident et la grave responsabilité qu’il assumerait en prêtant les mains à la désorganisation de l’armée, alors que la Navarre était en armes et qu’il y avait encore dans l’Andalousie, naguère insurgée, plus d’un tison mal éteint. Il fit venir M. Ruiz Zorrilla, lui témoigna ses inquiétudes, le pria instamment d’arranger l’affaire. M. Zorrilla le rassura, lui promit que tout se terminerait à son gré. Cependant, les journaux continuant de l’éclaircir, le roi eut avec le président du conseil une seconde entrevue, dans laquelle, lui prenant les deux mains, il lui rappela les promesses qu’il avait faites deux ans auparavant au roi d’Italie, lorsque, président des cortès, il était venu chercher un roi