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Buzenval, au 20 janvier ? Faidherbe venait d’essuyer la veille à Saint-Quentin une défaite qui le mettait pour quelque temps hors de combat. Chanzy, battu au Mans, était rejeté sur la Mayenne depuis le 11 janvier. Bourbaki, arrêté le 16, le 17 et le 18 devant Héricourt, avait commencé une retraite qui allait devenir un désastre. On ne savait pas encore toute la vérité, on commençait à l’apprendre, et c’était un danger de plus de vivre dans cette obscurité.

Oui, c’était pour la défense un danger et un malheur de ne rien savoir ou d’être trompée par ceux qui auraient dû la renseigner, et par un surcroît de misère elle se voyait au même instant exposée aux objurgations de M. Gambetta, qui puisait sans doute dans ses prodigieux succès le droit d’accuser les autres ! Pendant que Paris en était à se débattre dans son agonie, sans se laisser approcher par l’ennemi, M. Gambetta écrivait le 16 janvier à M. Jules Favre une lettre des plus étranges, comme s’il eût eu la pensée de se dégager d’avance de toute responsabilité. « Vous voyez s’approcher tous les jours de vous, de la France et de la république l’horrible catastrophe, disait-il, et vous vous résignez en gémissant. Vous vous laissez acculer par la famine ; vous avez laissé passer l’heure et l’occasion favorables pour une victorieuse trouée, et avec les intentions les plus pures, vous tomberez comme ceux qui sont tombés à Metz et à Sedan… Si vous étiez sortis le 7 janvier, Chanzy, au lieu d’un échec sur la ligne du Mans, aurait probablement compté un triomphe. Si vous sortiez aujourd’hui, demain, après-demain, profitant du moment où les Prussiens ont dégarni leurs lignes pour opposer 200,000 hommes à Chanzy, 100,000 hommes à Bourbaki, vous réussiriez encore… » M. Gambetta décrivait la situation à sa manière, c’est-à-dire de la façon la plus chimérique, la plus décevante, et après avoir fait toute sorte de calculs stratégiques, après avoir cité en exemple la « bonne méthode » des Prussiens destituant leurs généraux battus, von der Tann et Werder, — Werder, qui battait en ce moment Bourbaki ! — le bouillant dictateur ajoutait, passant à la menace : « Pendant toutes ces luttes, que fait Paris ? Rien. La population supporte stoïquement les obus des Prussiens, mais on se demande non-seulement en France, en Europe, ce que fait la population militaire. Cependant le temps vous presse ;… qu’attendez-vous pour agir ? Autour de vous, tout le monde vous en adjure ! Je vous ai envoyé mon vote, je viens de vous exposer les nécessités de la situation, je vous ai fait connaître l’opinion générale, unanime, dans le sens d’un effort immédiat. Retarder plus longtemps, quel que soit le prétexte d’une pareille faiblesse, serait un acte coupable contre le pays, contre la république ; même indirectement je ne veux pas m’y associer. En conséquence, si le 23 je n’ai pas reçu une dépêche nous annonçant qu’une sortie sans esprit