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de retour est engagée avec tous vos moyens, je ferai connaître à la France la vérité tout entière… »

C’était toujours la même histoire. Si Chanzy avait été battu, c’est qu’on l’avait laissé accabler, c’est qu’on avait permis aux Prussiens de dégarnir leurs lignes. On ne faisait rien à Paris ! Par une théorie toute nouvelle d’art militaire, par une singulière interversion de rôles, c’était maintenant à l’armée parisienne de porter secours aux armées de province ! M. Gambetta assurait que c’était son devoir d’être « une armée d’opération extérieure, une armée de secours capable de prendre la campagne. » Voilà un homme se disant ministre de la guerre, ayant la vanité de présider à des opérations militaires, qui se payait de ces contes et qui les envoyait à de malheureux assiégés aux prises avec l’ennemi depuis quatre mois ! Ai-je besoin de rappeler que tout ce que disait M. Gambetta n’était qu’un tissu de fictions ? Chanzy n’avait pas eu 200,000 hommes sur les bras, il avait eu affaire à la seule armée de Frédéric-Charles, à moins de 100,000 hommes, et c’était déjà beaucoup trop. Manteuffel n’avait pas 100,000 hommes, il en avait 60,000, et c’était plus qu’il n’en fallait avec les soldats de Werder, — de Werder destitué, — pour mettre à mal l’infortuné Bourbaki, laissé sans soutien à Dijon et sans vivres à Besançon. De toutes ces forces qui étaient à poste fixe autour de Paris depuis la première heure, le VIe corps à Choisy-le-Roi, le IIe corps bavarois à Meudon, le XIe corps à Sèvres, le Ve corps entre Saint-Cloud et Bougival, le IVe corps à Argenteuil, la garde prussienne à Gonesse, le XIIe corps saxon sur la Marne, les Wurtembergeois à Villiers, pas un détachement de quelque importance n’avait quitté les lignes.

Tantôt M. Gambetta traçait pour la province des récits épiques et fantasmagoriques de ce qui se faisait à Paris, tantôt il menaçait de dévoiler à la France l’inaction parisienne. Il flattait l’esprit populaire en accablant un gouvernement aux abois qui aurait eu plus que jamais besoin d’être soutenu dans son autorité, et cette lettre arrivant le 20 janvier, au lendemain de Buzenval, au moment où l’on ne savait plus que faire, prenait assurément un caractère particulier d’indignité ou de coupable légèreté ; tout cet étalage de mouvemens stratégiques et de sorties nécessaires à une pareille heure ressemblait à une amère et insultante ironie. M. Jules Simon s’écriait dans un conseil qu’il fallait absolument faire un nouvel effort, que Paris pouvait vivre quelques jours sans pain, et qu’il le devait pour son honneur « après la lettre lugubre et accusatrice de M. Gambetta[1]. » Il aurait donc fallu pousser la population parisienne à

  1. Procès-verbaux des actes du gouvernement. — « La violence de la dépêche de M. Gambetta paraît à M. Jules Simon une injustice qui s’ajoute aux malheurs actuels et permet de pressentir sur qui l’on voudra se décharger plus tard de la responsabilité des revers. »