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choix entre toutes les causes de désordre. Puisque M. de Bismarck le voyait si bien cependant, il pouvait jusqu’à un certain point atténuer le danger. Il n’avait qu’à se prêter à ce qu’on lui demandait, à laisser au gouvernement de Paris la faculté de garder trois divisions d’infanterie armées. La sûreté des Allemands maîtres des forts ne pouvait certes être en péril. Ce n’est qu’après les discussions les plus vives et avec une peine extrême qu’on finissait par obtenir une seule division, plus la gendarmerie et la garde municipale au nombre de 3,500 hommes. C’était une force totale de 16,000 hommes au plus, qui ne pouvait évidemment suffire à un sérieux service d’ordre ou de défense intérieure[1]. Dernière concession allemande : après cinq heures de lutte et des visites réitérées chez le roi, on consentait à ne pas exiger la remise des drapeaux de l’armée de Paris ; il n’en restait d’ailleurs que quelques-uns, et ceux-là ont eu du moins la chance de ne pas aller à Berlin. Paris, en se rendant, ne livrait pas les drapeaux de la France laissés sous sa garde. Ainsi se poursuivait cette négociation le 24, le 25, le 26 janvier. Sans avoir rien conclu définitivement, on avait ébauché les traits généraux de la convention qui allait mettre fin au grand conflit.

Jusque-là M. Jules Favre était resté seul à se débattre à Versailles. A mesure que la négociation avançait cependant, les questions se précisaient : on touchait aux détails militaires de l’armistice qui avaient une singulière importance, au règlement pratique des conditions financières. M. Jules Favre, abandonné à lui-même, sentant son incompétence et assez inquiet de sa responsabilité, avait demandé plusieurs fois déjà d’être accompagné de quelques membres du gouvernement, du général Trochu et de M. Ernest Picard, qui l’un et l’autre avaient paru peu pressés d’aller partager le terrible fardeau. Le 27, il n’y avait plus à reculer, les Allemands réclamaient la présence d’un officier, qui était en effet fort nécessaire. A défaut du général Trochu, qui persistait à s’effacer, quoique son autorité et son expérience militaire n’eussent pas été de trop, il y avait un choix simple, naturel et régulier, c’était celui du chef d’état-major du nouveau commandant de Paris. On allait être obligé d’y revenir, mais on vivait dans un tel trouble d’esprit qu’on n’y songeait pas d’abord. On commençait par s’adresser au général Cailler qui se hâtait de se récuser, prétendant, non peut-être sans raison, qu’il pouvait rendre plus de services à son secteur de

  1. M. de Bismarck, il est vrai, avait à proposer un autre moyen pour maintenir l’ordre : par une « plaisanterie qu’il qualifiait de sérieuse, » selon les termes des procès-verbaux des délibérations du gouvernement ; il demandait « qu’on lui livrât comme otages les journalistes, avec lesquels, disait-il, on ne pourrait jamais maintenir l’ordre pendant l’armistice. »