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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/566

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redoutables interlocuteurs, au risque de passer pour difficile et cassant. Parfois M. de Bismarck, M. de Moltke et son lieutenant, le général de Podbielski, se retirent un peu à l’écart et causent en allemand. De son côté, M. Jules Favre, assez ému, cherche à retenir le général de Beaufort en lui disant : « Ne les poussez pas à bout. » Le général répond vivement : « Je ne suis pas diplomate, ces messieurs, qui sont militaires, doivent me comprendre. » Ce jour-là, M. Jules Favre, avec sa préoccupation fixe, passa de mauvais momens, si bien qu’en rentrant le soir à Paris sans avoir encore rien fini, il se hâtait de demander un autre négociateur militaire qui mît un peu moins le feu aux poudres. Ce fut cette fois le chef d’état-major de l’armée de Paris, le général de Valdan.

M. Jules Favre s’exagérait un peu les conséquences de quelques fiertés de langage. Ni le général de Beaufort avec ses vivacités, ni le général de Valdan avec sa fermeté plus calme le lendemain, ne pouvaient rien changer. Il s’agissait non-seulement de régler les conditions de la remise des forts, de fixer définitivement la position faite à l’armée et aux belligérans sous Paris, mais encore d’étendre l’armistice à la province, de déterminer les zones d’occupation. Pour Paris, c’était tristement simple, on n’ignorait rien, on avait tous les élémens de décision. Pour la province, on ne pouvait rien savoir, puisqu’on n’avait aucune liberté de communication ni avec le gouvernement de Bordeaux ni avec les généraux. M. Jules Favre était traité comme un prisonnier d’état soigneusement séquestré, au point que le maire de Versailles pouvait tout au plus un soir se glisser jusqu’à sa voiture pour lui serrer furtivement la main sans rien dire. On procédait dans une obscurité où l’ennemi seul savait ce qu’il faisait. C’est sur des renseignemens allemands, avec des cartes allemandes qu’on était réduit à tout décider, le sort des armées et des villes aussi bien que les délimitations des zones, et de là une des plus funestes méprises de cette négociation.

Les chefs de l’état-major prussien paraissaient assez mystérieux sur les affaires de l’est ; ils assuraient seulement que les armées se trouvaient aux prises, que Bourbaki, battu devant Héricourt, était déjà coupé, tout près d’être rejeté en Suisse, et naturellement ils prétendaient ne pas perdre l’avantage des opérations engagées dans cette région. Dès le début, ils avaient réclamé la reddition de Belfort, qui tenait toujours énergiquement. M. Jules Favre avait refusé de livrer Belfort, il hésitait sur le reste, peut-être parce qu’il doutait encore de ce qu’on lui disait de l’armée de Bourbaki, dont on ne connaissait à Paris que les premiers succès de Villersexel. « Qu’à cela ne tienne, répliquait M. de Bismarck, attendons quelques jours pour conclure, d’ici là tout sera éclairci. » Attendre, c’était justement la question. M. Jules Favre sentait bien que Paris ne pouvait pas