Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/588

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tribunaux qui l’occupaient presque tout entier, et, au lieu de magistrats propriétaires de leurs offices, se les transmettant l’un à l’autre par vente ou hérédité, échappant ainsi à son action directe, il eut des fonctionnaires à sa nomination qu’il pouvait révoquer quand bon lui semblait, et qui étaient les instrumens dociles de son pouvoir. Ces fonctionnaires substituèrent, dans la sphère de leurs attributions, qui ne cessa de s’étendre, le régime purement administratif au régime judiciaire. L’arbitraire royal ou plutôt ministériel remplaça dans la manutention des affaires et dans le fonctionnement des services publics la législation rigide et chicanière des tribunaux. Cette transformation, qui s’opéra aux XVIIe et XVIIIe siècles, rencontra dans la magistrature une résistance opiniâtre et systématique ; elle ne s’accomplit que partiellement, tant à raison de la prudence des rois, qui respectaient dans une certaine mesure les vieilles institutions, que par la difficulté qu’il y avait à tout réorganiser. Aussi la France, quand éclata la révolution, offrait-elle encore dans son administration des formes essentiellement judiciaires, et tout l’appareil gouvernemental, dans lequel Richelieu et Louis XIV avaient porté la dissolution, restait debout, semblable à un arbre dont la moelle est détruite, mais qui vit encore par l’écorce. L’ancien régime était d’ailleurs comme ces édifices qui ont été remaniés à diverses époques et présentent d’étranges disparates de style ; il formait un assemblage d’institutions de caractères fort différens. A côté des vestiges de la féodalité s’offrait l’ensemble des institutions judiciaires du XIVe, du XVe et du XVIe siècle, s’affaissant sous le poids des premières assises de l’administration royale, dont la centralisation au conseil d’état devait être le couronnement.

Pour avoir une notion claire de ce curieux phénomène, il faut jeter un coup d’œil sur l’histoire de l’organisation administrative et judiciaire de la France, se représenter le jeu de cette machine, en suivre les modifications et en indiquer les effets. C’est ainsi qu’on pourra juger du changement que la révolution a opéré dans notre pays. Elle n’a pas seulement donné une nouvelle forme à la société, elle a métamorphosé le système administratif de la France, ou, pour mieux dire, elle a précipité l’achèvement du plan que la royauté poursuivait depuis un siècle et demi. L’on ne comprendrait pas l’œuvre intérieure de 1789, si l’on négligeait d’étudier ce qu’était le régime qu’elle a renversé. Après les savans travaux de MM. Pardessus, C. Dareste de la Chavanne, R. Dareste, A. Chéruel, le vicomte de Luçay, la tâche est devenue moins difficile ; il nous suffira souvent d’ajouter quelques aperçus à leurs recherches.