Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’acquittement d’un devoir imposé par leur emploi, ce n’était plus servir le seigneur, c’était exercer un droit personnel en vue d’un profit ; ils s’en prévalaient comme d’une marque de souveraineté, ils le regardaient, comme attaché à leur famille, à leur manoir, à leurs propres terres. Sans doute les justices, les vigueries, les châtellenies, ne furent pas partout inféodées, mais elles l’étaient le plus ordinairement, et elles menaçaient de l’être partout. Une fois élevés au rang de seigneurs terriens, les officiers s’efforçaient d’accroître leurs prérogatives et leurs attributions. Les bayles s’arrogèrent en certains cantons le droit de juger les procès ; les prévôts étendirent leur juridiction à toute sorte de délits, même aux litiges entre particuliers. Les châtelains en divers lieux exercèrent la haute justice.

Supprimer brusquement toute cette organisation était chose impossible. Les grands vassaux, pas plus que le roi, n’avaient la force nécessaire pour abattre d’un coup ces mille tyrans. D’ailleurs les réformes soudaines et radicales n’étaient pas dans l’esprit de nos ancêtres. Le pouvoir procédait lentement : il minait peu à peu ce qu’il voulait détruire, et finissait par annuler l’institution dont il poursuivait la suppression tout en la laissant debout ; elle tombait ensuite d’elle-même. Tous ces offices appartenaient à une aristocratie avec laquelle il fallait compter, et il était moins malaisé de lui enlever l’exercice de l’autorité que les avantages qui y étaient attachés : aussi la première mesure précéda-t-elle presque toujours la seconde. C’est ainsi qu’en agit Philippe-Auguste ; saint Louis continua son œuvre avec plus d’ensemble et de ténacité. Le fils de Louis VII institua, pour remplacer le grand-sénéchal, des baillis, que les historiens ont désignés sous le nom de grands-baillis, afin de les distinguer des magistrats inférieurs appelés du même nom. Bien que choisis dans la noblesse, c’étaient moins des hommes d’épée que des magistrats. Ils eurent pour mission de recueillir les revenus du domaine royal, tant terres que deniers, fermes des prévôtés, produit des amendes, etc. Ils prélevaient sur les revenus les sommes nécessaires pour solder les dépenses de la province placée sous leur autorité. Leur juridiction était analogue à celle du sénéchal. Ils publiaient les lois et mandemens du roi et en assuraient l’exécution ; ils jugeaient les causes des particuliers qui pouvaient donner lieu à prononcer des peines pécuniaires, car les amendes revenaient au domaine. Toutefois en bien des villes le jugement en première instance appartenait à la juridiction municipale ; ailleurs, conformément à l’ancien usage, il était rendu par les hommes de fief ou cotiers, qui prononçaient sur leurs pairs, présidés seulement par le prévôt ou bailli inférieur. Saint Louis interdit aux prévôts-fermiers