Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mis en avant l’idée de faire de ce Paris transfiguré le rendez-vous européen de tous les plaisirs, une sorte de caravansérail cosmopolite. Cette grande ville aura toujours assez par elle-même ce caractère. Nulle cité au monde, depuis trois siècles au moins, ne lui dispute ce rôle et ce renom d’hôtellerie de l’Europe. C’est un honneur et un avantage dont il ne faut pas abuser. L’histoire nous a plus d’une fois montré quel est le sort de ces villes toutes de luxe dont la destination trop spéciale est de faire le bonheur des étrangers. Prodiguant pour eux leur beauté vénale, elles ne s’appartiennent pas à elles-mêmes, ou, si l’on veut une comparaison plus honnête, elles ressemblent à ces hôtes qui pour mieux recevoir leurs invités se mettent à la gêne. Ceux des habitans qui peuvent faire les frais du luxe le trouvent à portée comme à profusion ; la masse de ceux qui sont réduits à se contenter du nécessaire et d’un modeste superflu paie la rançon de l’universelle cherté, et ce ne sont pas d’ordinaire les industries les plus intéressantes qui s’enrichissent de cet or répandu à pleines mains par l’opulence oisive et dégagée de tout frein.

Il faudrait de même, pour le luxe privé, distinguer entre ce qui fut le résultat naturel de la richesse nationale et ces excès qui n’étaient que le contre-coup du mouvement fiévreux de la spéculation. Le mauvais luxe suit le jeu, l’agiotage, comme l’ombre s’attache au corps. Quelque chose de ce qui eut lieu à l’époque du système de Law s’est renouvelé de nos jours ; les affaires factices, l’excès du papier, les coups de bourse, ont été accompagnés d’un goût non moins passionné pour les recherches de la vie brillante. C’est l’effet constant des gains faciles de provoquer l’impatience de jouir, qui à son tour pousse à tenter les hasards de la fortune.

Tant que l’empire a duré, l’observation satirique s’est emparée de ces travers et de ces vices pour les peindre et pour les châtier. La question d’argent, comme on disait, et le luxe de mauvais aloi ont défrayé la scène pendant plusieurs années. Des voix plus graves se sont mêlées avec autorité à ces railleuses et quelquefois pathétiques censures : des magistrats éminens venaient dénoncer avec une énergie solennelle les inquiétans progrès de la maladie. Dans un discours qui tenait de la mercuriale et de la boutade, un célèbre procureur-général ne se bornait pas à rudoyer l’excentricité de certaines toilettes aux dimensions exagérées ; il accusait les côtés plus graves d’une situation créée par l’amour des jouissances et par une émulation vaniteuse, les scandales domestiques qui en furent plus d’une fois la conséquence, le ton donné à la mode par des courtisanes qui étalaient dans tous les lieux publics leur luxe effronté, et, comme l’exemple tend plus souvent à descendre qu’à remonter, les classes inférieures s’efforçant d’imiter les hautes classes « par esprit