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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/851

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offices de la couronne dont il avait tout d’abord poursuivi la suppression, eut soin de ne pas laisser la charge de chancelier passer comme un fief à des gentilshommes de vieille souche. « Il n’était pas de mon intérêt, écrit-il dans ses mémoires, de prendre pour ministres des hommes de qualité éminente ; il fallait avant toutes choses faire connaître au public, par le rang même où je les prenais, que mon dessein n’était pas de partager mon autorité avec eux ; il m’importait qu’ils ne connussent par eux-mêmes de plus hautes espérances que celles qu’il me plairait de leur donner, ce qui est difficile aux gens d’une grande naissance. » Cependant la dignité de chancelier, comme toutes les grandes charges de la couronne, était inamovible. Dès le XVe siècle, on lui reconnaissait ce caractère, et l’inamovibilité assurait au chancelier une indépendance qui pouvait gêner l’omnipotence du roi et traverser ses desseins. Aussi Colbert, à la mort de Séguier, proposait de supprimer cette charge. Louis XIV ne l’osa, mais il déclara, le 1er février 1672, qu’il tiendrait lui-même les sceaux, ce qui signifiait qu’il entendait les confier à qui il voudrait. En sorte que, tout en respectant l’inamovibilité du chancelier, il se réservait le moyen d’écarter le titulaire dont il n’agréerait plus les services. Il n’avait pour cela qu’à retirer les sceaux au chancelier pour les remettre à un garde des sceaux spécialement désigné, qui en remplissait alors les fonctions. Disgracié, réduit à un titre nominal, le chancelier n’avait plus alors qu’une dignité sans puissance, une charge sans autorité ; c’est ce qui se fit plus d’une fois, et, sous la régence, le grand d’Aguesseau fut ainsi dépossédé. Ce n’était pourtant pas un divorce, la royauté se réservait le droit de rappeler celui qu’elle avait éloigné, et qui restait toujours le chancelier de France.


III

Il ne suffisait pas de déposséder de grands fonctionnaires qui se distribuaient comme un bien propre les diverses parties de l’administration et de la justice ; il fallait encore que l’administration reçût l’unité qui lui avait jusqu’alors manqué. Pour cela, les mesures prescrites par la royauté, les ordonnances rendues par elle, avaient besoin d’être discutées, préparées sous les yeux du monarque par des hommes ayant sa confiance et d’une suffisante capacité. Il était nécessaire que les chefs des grands services devinssent dans une certaine mesure solidaires les uns des autres, qu’une juridiction supérieure s’imposât à tous, parce qu’elle résumait en elle les différentes formes de la souveraineté. Or le grand-conseil, ou, comme on le nommait quelquefois, le conseil étroit, auquel appartenait encore au XVe siècle le pouvoir législatif, avait perdu par l’autorité