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l’inanité de la vie. À ces premières impressions s’en joignent une foule d’autres secondaires qui les confirment, et dont la connaissance est intéressante pour comprendre l’énergie du sentiment qui découle de tant de sources.

C’est d’abord le climat, l’hiver, le froid. C’est un fait trop peu remarqué que la force de l’instinct religieux dans les pays du nord. A cet égard comme à tant d’autres, à propos de l’influence du climat, nous vivons peut-être sur un préjugé. Le nord n’est pas moins religieux que le midi, parce que c’est là où la nature est le plus tranchée, qu’elle éveille le plus le sens du surnaturel. L’histoire en fait foi : en dehors de l’Espagne, les pays les plus septentrionaux de l’Europe, trois états de confession différente, la Russie, la Suède et l’Ecosse, ont été ceux où les croyances ont pris sur les âmes l’empire le plus absolu et le plus persistant. Nulle part la foi n’a obtenu un tel pouvoir sur les mœurs privées et sur les mœurs publiques, nulle part la tolérance ou ce qui en est le dernier terme, l’égalité civile des cultes, n’a eu plus de peine à se faire admettre. Le sentiment religieux des peuples du nord diffère de celui des peuples du midi comme les phénomènes qui le provoquent, comme les lacs de l’Ecosse, de la Suède ou de la Russie diffèrent des côtes de Naples ou de Valence. Des aspects du nord, il prend une teinte plus sombre et plus austère ; il devient plus mélancolique et plus rêveur qu’ardent et passionné, peut-être est-il plus profond, plus constant. C’est à la latitude même que tiennent les phénomènes qui nourrissent le sentiment religieux des pays du nord, c’est au long recueillement de l’hiver, c’est au sommeil périodique de la nature, ensevelie pendant la moitié de l’année sous la neige, et dont la mort apparente fait une impression funèbre et solennelle. Dans les régions septentrionales où ont longtemps été confinés les Grands-Russes et où ont pris naissance la plupart des sectes mystiques de Russie, le contraste même des saisons, les longues nuits de l’hiver, les longs jours de l’été, tendent également à ouvrir l’âme aux impressions vagues et indéfinies qui favorisent l’instinct religieux. Partout la nuit est le temps des craintes mystérieuses, qui, ainsi que les phalènes et les oiseaux du soir, se cachent dans le jour pour voltiger autour de l’homme la nuit. Ce n’est pas seulement au figuré que les ténèbres engendrent la superstition, elle naît directement de l’obscurité physique et des heures nocturnes. Les longues soirées d’été avec leur pâle crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour, donnent, elles aussi, une impression rêveuse doucement triste, aux suggestions de laquelle l’esprit a peine à se soustraire.

Les phénomènes communs aux pays du nord ne sont pas seuls en Russie à fomenter et comme à couver l’esprit religieux ; la terre