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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/949

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blissement de l’ancienne royauté. Les bonapartistes ont déjà signifié la rupture de l’alliance. M. Rouher vient de lancer le manifeste du parti en prenant pour mot d’ordre cet « appel au peuple, » qui sous la forme plébiscitaire était au temps de l’empire, si l’on s’en souvient, une manifestation si franche et si sincère des vœux du pays ! En supposant même que quelques membres de ce groupe finissent par se rattacher à la monarchie, il y aura toujours au moins 20 voix de bonapartistes dissidens qui manqueront à l’appel, on n’en peut plus douter, qui laisseront un vide dans cette majorité par laquelle s’est formé le gouvernement actuel. D’un autre côté, si on avait espéré rallier quelques adhérens dans le centre gauche, on risquerait fort de s’abuser désormais en comptant beaucoup sur ce contingent, qui aurait pu se laisser tenter par une monarchie franchement constitutionnelle, mais qui dans l’incertitude, en présence d’une restauration mal définie, reste fidèle à la république conservatrice. Les hommes les plus marquans de cette fraction de l’assemblée, M. Léon Say, M. Feray, M. Christofle, se sont déjà nettement prononcés. Le centre gauche doit se réunir dans quelques jours, le 23, pour se concerter avec la gauche modérée et combiner la campagne qui se prépare. M. Casimir Perier et ses amis sont dans les mêmes dispositions. Nous ne parlons pas des fractions extrêmes, naturellement plus prononcées encore contre toute restauration de royauté.

Enfin, au-dessus et en dehors de ces oppositions diverses, qui ne laissent pas de former une armée nombreuse, il y a l’adversaire certainement le plus redoutable, le plus dangereux de cette reconstitution monarchique, M. Thiers lui-même, qui a donné le véritable signal de la résistance dans une lettre adressée au maire de Nancy, et qui restera jusqu’au bout sans nul doute le régulateur du combat. Cette lettre de M. Thiers, c’est l’expression sensée, modérée, éloquente, de tous les instincts troublés par cette résurrection d’une monarchie dont on ne saisit pas le caractère. Par ses opinions, par ses traditions, par toutes les habitudes de sa vie et de son esprit, l’ancien président de la république n’est point un ennemi de la royauté. Il s’est proclamé assez souvent un vieux monarchiste, et au fond il est toujours de ceux qui croient qu’on est au moins aussi libre à Londres qu’à Washington, il défend aujourd’hui la république parce qu’il la croit seule possible dans l’état de la France, au milieu de la division des partis, et aussi et surtout parce que dans cette monarchie telle qu’elle se présente il voit la société moderne mise en suspicion et en péril, les libertés et les droits de la France contestés et menacés : M. Thiers l’a dit habilement dans cette lettre, faite pour servir de programme, pour ramener toutes les oppositions à une certaine discipline dans la campagne qui se prépare.

Certes la défense placée sur ce terrain, conduite par un homme tel que M. Thiers, cette défense, il n’y a pas à s’y tromper, est dangereuse pour les projets monarchiques, elle doit entraîner ou retenir bien