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Ceux-là ne savent pas tes charmes,
Autour, maître dur et jaloux !
 
Si tes plus exquises délices
Gardent quelque chose d’amer,
Tes orages et tes caprices
Sont attirans comme la mer…

Parfois la révolte me tente ;
Je veux briser le fil vainqueur
Dont une fée ensorcelante
Enlace étroitement mon cœur.
 
Je pars, je, vais chercher contre elle
Un refuge dans la forêt…
« Aide-moi, verdure nouvelle,
A rompre son magique attrait ! »

Mais la lumière verdissante
Qui filtre sous les grands couverts
Me rappelle la fée absente,
L’ondine aux fascinans yeux verts.

Aux bouleaux sa grâce est pareille,
La source est l’écho de sa voix,
Je songe à sa bouche vermeille
Devant les framboises des bois.

Le ramier chante, et la cadence
Des roucoulemens langoureux
Réveille en moi la souvenance
De nos caresses d’amoureux.

Les sauges et les marjolaines
Et les chèvrefeuilles rosés
Me parlent d’elle… Leurs haleines
Ont le parfum de ses baisers…

Je quitte la forêt sauvage,
Et, las de mon effort viril,
Je retourne à l’ancien servage
Comme un banni revient d’exil.

A la charmeuse je rapporte
Mon front lâche et mon cœur confus,
Et je vais heurter à sa porte,
Tremblant qu’elle ne l’ouvre plus.

ANDRÉ THEURIET[1]
  1. Ces deux pièces sont tirées d’un nouveau recueil de vers de M. A. Theuriet, paraîtra prochainement sous le titre le Bleu et le Noir, poèmes de la vie réelle.