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LA MIGRATION DES FABLES.

Essais sur la mythologie comparée, par Max Müller, traduits par M. G. Perrot ; Paris 1873.


Depuis que les portes des littératures de l’Orient nous sont toutes grandes ouvertes, que nous puisons à pleines mains dans le trésor des antiques civilisations, et que l’on recueille avec un soin pieux jusqu’aux traditions orales qui subsistent chez les peuples non lettrés, ce qui frappe l’observateur, c’est la rareté des idées originales qui constituent le fonds intellectuel de l’humanité, sur lequel nous vivons depuis tant de siècles. Dans les milieux les plus divers, sous des costumes plus ou moins brillans, on retrouve sans cesse d’anciennes connaissances, — toujours les mêmes combinaisons de pensées profondes, de tours plaisans, de réflexions subtiles. Les mêmes rapports de filiation et d’alliance qui forment la parenté des idiomes existent entre les légendes poétiques, les doctrines religieuses, les coutumes sociales, et la mythologie comparée nous ôte de nos illusions sur la richesse de l’imagination humaine. Nil novi est le refrain de ces recherches, qui se proposent pour but de relever l’avoir intellectuelles diverses nations.

M. Max Müller, le célèbre professeur d’Oxford, est peut-être le savant qui a le plus exploré les lits de ces courans qui se sont déversés de l’Asie sur l’Europe et qui se sont ensuite perdus dans l’océan du passé. Il est un des maîtres de cette science qu’on pourrait appeler la paléontologie des idées, et qui comprend la science du langage, celle des religions, des coutumes, des traditions de toute espèce. Dans le nouveau volume qu’il vient de publier, il a réuni une série d’études qui touchent à tous ces sujets ; les chapitres les plus curieux sont peut-être ceux où il est question des migrations qui ont amené jusqu’à nous les fables originaires de l’Inde.

Pour nous donner un exemple de ces migrations, M. Max Müller s’efforce de suivre à travers ses transformations successives le conte oriental qui est devenu cette jolie fable de La Fontaine, la Laitière et le Pot au lait. La Fontaine publia les six premiers livres de son recueil en 1668, et l’on sait que la plupart des sujets étaient empruntés aux fabulistes classiques. La fable de Perrette n’apparaît que dans la seconde édition, qui est de 1678, et qui s’est enrichie de cinq livres de fables nouvelles ; dans la préface, La Fontaine déclare qu’il doit la plus grande partie de ses nouveaux sujets à « Pilpay, sage indien, dont le livre a été traduit en toutes les langues. » C’est donc vers l’Inde qu’il faut d’abord tourner nos regards pour découvrir les traces de Perrette.

Parmi les collections de contes et de paraboles que possède la