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Enfin, ajoute-t-on, si nous sommes condamnés au métal d’argent, nous en ferons peu d’usage, et n’en sentirons pas les inconvéniens. On est habitué à la circulation fiduciaire, on la gardera telle qu’elle est, et l’argent ne sera guère employé que comme monnaie d’appoint. La plus grosse partie restera dans les caisses publiques et servira de garantie aux billets au porteur. — Cet argument a de l’importance auprès de certaines personnes : il répond à la crainte qu’on a de voir reparaître dans la circulation les lourds sacs d’écus, sous le poids desquels gémissaient les garçons de recettes, et comme depuis quelque temps les billets de banque ont pris une extension considérable et une faveur inaccoutumée, sans qu’il en résultât d’inconvénient bien sensible, on se figure aisément que le problème peut être résolu de cette façon. On ne réfléchit pas qu’il y a une très grande différence entre un papier-monnaie qui circule tout seul, avec cours forcé en l’absence de numéraire, et une circulation fiduciaire qui repose sur une encaisse métallique et peut être échangée à tout moment contre des écus. Dans le premier cas, le papier-monnaie n’a pas de rival : il se déprécie, s’il n’est pas bien garanti et si on en émet trop ; mais il ne se déprécie pas par la concurrence que lui fait un autre instrument d’échange. Aujourd’hui notre papier-monnaie se tient à peu près au pair d’abord parce qu’il a une garantie sérieuse dans l’immense stock métallique qui existe au sein du pays, et ensuite parce qu’il ne trouve pas ce stock en face de lui comme concurrent dans la circulation. Le numéraire se cache et attend. La situation sera tout à fait différente avec la reprise des paiemens en espèces. Les métaux précieux circuleront, ou plutôt en France il n’en circulera qu’un, qui sera l’argent, et si, pour éviter le désagrément d’une monnaie aussi incommode, on laisse le papier-monnaie au chiffre où il est en ce moment, on sera débordé par l’instrument d’échange, il y en aura plus qu’il ne faut. On aura beau déposer la plus grosse partie de l’argent dans les caisses publiques à titre de garantie, elle n’en sera pas moins disponible, elle figurera à l’actif du capital social et circulant dont on pourra user, et elle aura les inconvéniens de toute circulation trop étendue, ceux d’agir sur les prix et de les élever d’une manière factice.

Un économiste américain distingué, M. Amasa Walker, dans un livre intitulé the Science of Wealth, a écrit des chapitres excellent sur cette question. Il a démontré par des faits que la circulation à la fois fiduciaire et métallique, qu’il appelle mixed currency, aboutit toujours, même lorsqu’elle est modérée, à l’élévation des prix. Cette conclusion, posée d’une façon aussi absolue, est peut-être trop rigoureuse ; il est certain au moins que, si la circulation fiduciaire en